Le Salon du Vampire, partie1/2

Reportage au Salon du Vampire
IVe édition Le territoire du Vampire les 17-18 sept. 2016 maison Ravier, Lyon

Un événement organisé par le LyonBeefsteakClub
Leur page FaceBook ; une présentation dans le prologue à ce reportage.

Le Lyon Beefsteak Club a pour objet la promotion et la vulgarisation du folklore et de la culture ayant un rapport direct ou accessoire avec le vampire, à travers l’organisation d’événements culturels, tels des festivals, projections, lectures, conférences, etc.

Le Salon du vampire est l’événement majeur de cette association. Il a lieu tous les deux ans autour d’une thématique particulière et durant tout un week-end. Différents intervenants sont sollicités pour venir parler du vampire (universitaires, auteurs, metteurs en scène, voyageurs, etc.). – pour plus d’informations sur le planning de cette quatrième édition, rendez-vous à l’article prologue du Salon du Vampire !

01_afficheSi le vampire de fiction a longtemps été cantonné à l’Europe du XIXe siècle (Balkans et Angleterre notamment), la créature a depuis essaimé aux quatre coins du globe. Finis les châteaux moyenâgeux et autres cryptes poussiéreuses, elle envahit désormais l’espace urbain et se fond davantage dans la société humaine. L’événement permettra aux curieux comme aux connaisseurs de découvrir la richesse de la thématique, au travers des tables rondes et conférences où seront présents nos invités (romanciers, essayistes, universitaires et scientifiques) […] Une fois encore, l’offre littéraire sera dense, avec pas moins d’une douzaine d’auteurs qui feront le déplacement pour échanger avec le public sur la place des vampires dans leurs ouvrages. – Cf. vampirisme.com pour une rapide présentation des festivités (invités, exposants, animations).

L’antre du poulpe au Salon du vampire
Pour cette première partie de notre reportage, voici un tour d’horizon.

Les témoignages de personnes s’étant aventurées dans l’antre de monstres assoiffés de sang pourraient vous faire décliner l’invitation au Salon du vampire. Je vous fournirais des raisons de regretter une telle décision, basées sur des préjugés qui m’avaient effleuré, en premier lieu, mais qui se dissipèrent telle la brume matinale cachant un magnifique château à la vue du voyageur fatigué. Notre périple fut ralenti par un climat hostile. La pluie recouvrait le pays, soudain figé par le linceul d’un froid mordant. Je pris mon courage à quatre tentacules et franchis le seuil de ma tanière, conscient des risques encourus par les appelés à l’aventure, peu attentif aux rigueurs du climat, aux distances à parcourir, aux possibles déceptions… Que je ne trouvais point !

02_staffLe territoire des bêtes aux dents longues… Le territoire des vampires, hein, pas d’lapins ! Enfin. Ce territoire n’est pas si inhospitalier que nous pouvons le penser à la lecture de documents vampiriques. Un certain savoir, occulte, était nécessaire afin d’accomplir ce séjour. Pourtant les écrits sont trompeurs. L’image dégagée par les organisateurs du Salon n’avait rien à voir avec celle d’étranges cochers menant sur les sentes de la perdition. Je me demandais, judicieusement, si l’emplacement du point de ralliement des vampirilogues était marqué de quelques pals. Rien d’tout ça. Le vampire lyonnais, loin des Carpates, est plutôt chaleureux.

L’accueil que nous réservèrent les membres du Lyon Beefsteak Club n’était pas si horrible qu’on pourrait imaginer. Si si ! Au cœur d’une forêt de bâtiments se trouvait la maison Ravier. Un endroit méticuleusement arrangé afin de recevoir une petite foule de curieux que la passion rassemblait. Je vous parlais de déceptions, de préjugés. Nombreux sont ceux qui pensent que le vampire est diminué par les dérivés d’une mode enfantine comprenant ces Twilight et autres Chica Vampiro. Vous pensez peut-être que mon retour, alive and non harmed, est la preuve d’un tel constat. Que du temps de Carmilla ou de Lestat (deux personnages souvent cités) un tel miracle n’aurait jamais eu lieu ! Je ne me suis pas fait vampiriser. Pourtant je vous parle, moi, le Poulpe ! Quel prodige ! Si vous saviez. Vous allez savoir :

03_bureauUn événement d’envergure eut lieu ce week-end. Un grand rassemblement. Massif. Du genre qui rameute plein de monde… Et ouais, c’était les journées du patrimoine. Alors forcément, rater ça, ça fait rager. Surtout lorsqu’on s’trouve dans une ville aussi passionnante que Lyon. Il fallait être porté sur les canines et par les chauves-souris pour arpenter les petites salles de la maison Ravier. Un événement de taille humaine s’apprête beaucoup plus à nos week-ends adorés, fait de découvertes, de débats, de souvenirs plus ou moins matériels, de Rencontres. Nous étions entre fans, dans ce climat typiquement lyonnais où d’illustres inconnus osent se parler, échanger, renseigner, s’entraider. Bref (comme dirait Pétain…) (ok, oublions la blague) (ouais, c’était nul)… Bref, donc, pour utiliser un de ses mots surutilisés par les journalistes : c’était convivial. Ouais, lorsqu’on nous dit « au Lyon Beefsteak Club on accueille toutes les tendances », bin on ne peut que le croire.

Les invités ont transmis des retours chaleureux envers cette association. Laissez-moi ajouter les miens, parce que je n’oublierais pas ce super moment (ni un certain gâteau au chocolat vegan que je dévorais voracement…) vraiment chic, mais sans palabres, qui passa trop rapidement. Étrange. Le Vampire a l’air d’un thème restreint. Pourtant je réalise qu’il me reste beaucoup de choses à apprendre sur cette tendance, cette mouvance, le fanclub, quoi, dont je loue l’ouverture d’esprit et la gentillesse. Certains saluts réalisés avec quelques intonations suraiguës (j’espère ne pas avoir rendue sourde la divine Morgane Caussarieu) et quelques au revoir pleins d’espoirs (une bise de Kim Newman, imaginez ça !) me rendent tout à coup nostalgique. Lorsqu’on se rend au Salon du vampire — et aux événements organisés par des assos proches d’AoA —, nous aimons cette promiscuité avec les invités, le public de passionnés, qu’on ne prend pas pour des néophytes, mais qu’on respecte. Ça, comme dirait un habitué des festivals, c’est vraiment important. On ne verrait pas Ça dans un énorme événement, où on se sentirait seul dans la foule. Le Salon du vampire créer des liens… de sang (huhuhu) !

04_salonDonc, plus exactement, qu’avons-nous aimé ? Un staff extraordinaire, vous l’aurez compris, des plats vegan ! Nous ne sommes pas morts de faim, et c’était bon ! Des animations amusantes, comme les quizz littérature/cinéma et vampires présentés par Spooky et Adrien Party (des infos sur les membres du LBC vous attendent dans la précédente prèz du salon), des exposants, des projections, des confs’ et tables rondes… Nous vous parlerons en détail grâce à de nombreuses retranscriptions… Et la possibilité d’interviewer une multitude d’invités ! Pour ce faire, le poulpe s’est mis sous la protection de son charmant assistant, Vlad la peluche, que vous avez pu voir lors des Bloody Week-end d’Audincourt et du salon du jeu OctoGônes, où il posait à côté de joueurs de la Camarilla lyonnaise. Ci-dessous, vous découvrirez des entretiens avec Kim Newman, Richard Guérineau, Morgane Caussarieu, Alain Pozzuoli, Pascal Croci, David S. Khara, Vincent Tassy et Jeanne Faivre d’Arcier ! On vous présentera l’ensemble des invités.

Partie 1, Chers lecteurs

La librairie L’Esprit Livre à ses locaux à Lyon et regroupe une quantité d’associations, d’éditeurs, d’auteurs et de libraires afin de transmettre la Culture (avec un grand C) par le biais d’évènements touchant tous les publics. Il s’agit d’une importante organisation s’intéressant énormément aux littératures de l’imaginaire, un peu dans la veine de la boutique Trollune, qui se diversifie moins dans les genres, plus dans les médias. L’imaginaire se retrouve dans des jeux de rôles, de carte, de plateau, que l’on peut tester dans leur boutique où lors d’évènements qu’ils sponsorisent. Question littérature, nous retrouvons nombre de petits éditeurs pouvant passer inaperçus dans de trop grandes librairies, voir même en France. Car Trollune s’engage à importer nombre de livres, de jeux, depuis les pays anglo-saxons.

05_librairesLes Indés de l’imaginaire (ActuSF, Mnémos, Les moutons électriques) ont un important catalogue leur permettant d’inviter une quantité d’auteurs sur des salons spécialisés où ils manquent rarement à l’appel. Leurs projets d’envergure font vivre les littératures de genre dans tout l’hexagone. Difficile d’imaginer quel serait l’état des publications du « mouvement geek », comme ils l’appellent, s’ils n’étaient pas si présents dans notre milieu. Ce groupe tente de « renouveler les gouts d’un lectorat composé de nombreux connaisseurs » par des publications ambitieuses, abouties, « se démarquant de simples duplications marketing ». La communication est pourtant au cœur de leur conception de l’édition, mais elle est portée vers les auteurs, vers les libraires, les associations, surtout présentes dans la région Rhône-Alpes. Cela nous permet d’enchainer sur les petits éditeurs qui animèrent le Salon du Vampire, en ce week-end du 17 et 18 septembre, en ameutant quelques écrivains sur leurs tables de dédicaces…

I. Le vampire romantique

Les éditions du petit caveau, gérées par Ambre Dubois, se consacrent à la littérature vampirique en proposant des livres essentiellement contemporains dans la veine du roman noir, mêlant un aspect passéiste à un aspect actuel dans ses publications. De tous les éditeurs présents au Salon du Vampire, cette association est la plus représentative de la thématique vampirique telle qu’on peut se l’imaginer aujourd’hui. Que l’on soit adepte de la bit-lit, de l’urban fantasy, ou que l’on rechigne à intégrer ce type de livres dans nos bibliothèques, qu’importe. Nous ne pouvons tenter de déloger ces éditeurs ne se spécialisant pas dans le « young adult » à la Twilight, mais puisant leurs inspirations dans les classiques de la littérature maudite, « de Stoker à Anne Rice en passant par Poppy Z Brite, mais aussi Féval, Le Fanu, etc ». Tous les genres, tous les styles, sont les bienvenus dans ce petit caveau rempli de créatures « aux dents longues ». Vous en découvrirez plus sur ce site très complet proposant un descriptif de la collection Gothique :

06_caveauLes romans gothiques, très populaires au 19e siècle, sont caractérisés par leurs décors sombres et chargés d’histoire, leur côté subversif et/ou leurs personnages tourmentés. Les thèmes exploités sont souvent ceux de la malédiction (d’un lieu ou d’une famille), des secrets issus du passé, des fantômes, des pactes avec des démons et d’autres entités déplaisantes, de la femme fatale (au sens souvent littéral du terme) et son pendant masculin. Loups-garous, fantômes, chevaliers sans tête maudits et autres créatures peuvent bien entendu s’inviter. Et dans certains cas, il est possible de laisser le doute sur la nature fantastique des événements… A l’inverse du roman d’horreur moderne, le style est souvent influencé par le romantisme. – cf. editionsdupetitcaveau.com

Les classiques qu’on nous décrit ici ont longtemps été surexploités. Nombre d’œuvres ont été ensevelies par de mauvaises conceptions du vampire et autres bêtes. Cela va du meilleur au pire ne sachant se réinventer. Se réinventer. Tenter d’éclairer le mythe d’une lune nouvelle. Tel semble être le but des Éditions du Petit Caveau : « Mettre en valeur » de jeunes plumes (auteurs et illustrateurs), s’inspirer du passé pour le dépasser en noircissant les textes de cauchemars. C’est tout un catalogue ! Parmi les invités à cette première édition vampirique à laquelle ils participent, nous avons pu rencontrer Kailyn Mei, l’auteure de Union mortelle pour un vampire (une moquerie du vampire sexy pour adolescentes) et de Plutôt mort que vivant ; Melissa Restous, auteure de L’inconsolé (une romance dans la Belle Époque) et Jean Vigne, auteur de la série Le dernier Vampire (de mordants romans SF).

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Les éditions du Chat Noir, que nous rencontrons régulièrement, soignent méticuleusement la présentation de leur stand afin de nous transporter dans un univers sombre situé entre le lolita et le vampire. Gotiques tels qu’on se l’imagine à notre siècle où l’on quitte l’ombre du grand Poe pour le caricaturer à la manière d’un Burton, Cécile Guillot et Mathieu Guibé, les créateurs de cette « boite », ne sont pas des personnalités que l’on oublie. « Traversons le voile d’un coup de griffe » (telle est leur devise), afin de nous pencher sur leur catalogue ayant nombre de points communs avec celui des éditions du Petit Caveau.

Quand Cécile Guillot fait dans le girly young adult, Mathieu Guibé décrit l’histoire d’un vampire dans la pure tradition romantique moderne. Il s’agit de Even dead things feel your love. Nous pouvions les apercevoir au côté de Vincent Tassy, invité d’honneur auteur d’Apostasie, un livre décrit et validé par les membres du Lyon Beefsteak Club. Vincent Tassy, musicien, professeur de lettres, rédacteur pour ObsküreMag, est l’auteur de la nouvelle Iravel paru dans l’anthologie Maisons Hantées de Luciférines que nous avons récemment chroniqué. Ne doutez pas de la qualité de ses textes ! D’ailleurs, une interview est à la suite…

08_editeursApostasie. Anthelme croit en la magie des livres qu’il dévore. Étudiant désabusé et sans attaches, il décide de vivre en ermite et de s’offrir un destin à la mesure de ses rêves. Sur son chemin, il découvre une étrange forêt d’arbres écarlates, qu’il ne quitte plus que pour se ravitailler en romans dans la bibliothèque la plus proche. Un jour, au hasard des étagères, il tombe sur un ouvrage qui semble décrire les particularités du lieu où il s’est installé. Il comprend alors que le moment est venu pour lui de percer les secrets de son refuge. Mais lorsque le maître de la Sylve Rouge, beau comme la mort et avide de sang, l’invite dans son donjon pour lui conter l’ensorcelante légende de la princesse Apostasie, comment différencier le rêve du cauchemar ? – cf. editionsduchatnoir.fr

Vincent Tassi, en interview !

Si Vinent Tassy était présent, c’est bien parce que la figure vampirique est un élément central de sa production littéraire. Pas qu’elle soit indissociable de toutes ses fictions, mais parce que lorsqu’elle s’y trouve, son essence est rudement bien distillée. Vous le verrez au travers de cette interview, et encore plus avec les tables rondes que nous vous avons retranscrites dans un autre fragment du reportage. Des vampires pas comme les autres va lui permettre de présenter ses différents personnages chauves-sourèsques qui ne tiennent pas tous de la chauve-souris, justement. Et puis, en tant que spécialiste de la littérature gothique, il a pu se replonger dans une époque qui lui est bien connue avec Le retour des vampires victoriens. C’est donc à ses côtés que nous nous sommes le plus tenus au grès des animations. Vincent Tassy a merveilleusement bien enténébré ce petit bal des vampires, gros gros merci à lui ! Et pour finir, j’ajouterais cet extrait de son interview sur vampirisme.com :

09_vincent« Pour toi, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est ce qui en fait la pérennité ? C’est un mythe. Par définition, il traverse les âges. Il renvoie à des pulsions, des interrogations profondes. Amour et mort, beauté et abjection, le vampire concilie les contraires, et c’est ce qui le rend si magnétique. Les auteurs peuvent choisir de nourrir le paradoxe, ou de mettre en avant l’un ou l’autre aspect ; dans tous les cas, une créature revenue d’entre les morts et s’abreuvant du sang des vivants pour maintenir son atroce existence ne peut qu’intriguer les mortels que nous sommes – déchirés entre nos instincts primaires et notre désir de vivre en société. »

Poulpy : Sur Vampirisme on parle beaucoup de votre roman, Apostasie, et de votre nouvelle, Mademoiselle Édouarda qui fût récompensée par le prix Merlin. Mais une question n’a pas été abordée. Forcément. Elle a trait au thème de ce festival. Comment aborderiez-vous le Territoire du vampire ?

Vincent Tassy : Le territoire du vampire est assez large pour qu’on puisse parler de tout ce qu’on veut, et suffisamment restreint pour donner une orientation à ce festival. Il est vrai que le vampire est une créature s’inscrivant toujours dans un paysage. Lorsqu’on observe les premiers textes de fiction vampirique jusqu’à ceux qui sont écrits aujourd’hui, on s’aperçoit que le décorum en dit autant que la créature. On parle souvent de cycles avec des tendances majoritaires, etc. Le décor va métaphoriser la manière dont on doit comprendre ce qu’exprime le vampire. Par exemple, si on prend le vampire gotique de la littérature du XIXe siècle, on est dans des décors issus de cette veine de romans. Le vampire y incarne le gotic vilain, comme dans Le vampire de Polidori ou le Penny Dreadfull victorien.

10_tassyD’Europe de l’est le vampire migre dans différents territoires. Je vais me baser sur des références qui ne sont pas plébiscitées par tout le monde, mais dont parle Morgane Caussarieu dans sa thèse sur les vampires de Louisiane. Twilight se passe dans le nord des États-Unis, dans des paysages froids, et met en scène des vampires frigides, très lisses, aucunement sulfureux. True blood se passe dans le Sud des États-Unis, en Louisiane, et là on est face à des vampires au sang chaud. Le thème du Territoire du vampire est justement intéressant parce que ces deux mots fonctionnent de paire.

Poulpy : Vous ne mettez pas forcément en scène des vampires traditionnels. À quels courants essayez-vous de les acclimater ?

Vincent Tassy : Nous ne sommes pas réduits à une vision. Dans mon premier roman, le vampire est traditionnel. C’est un mélange du vampire à la Anne Rice avec un petit côté Dracula et un petit côté Poppy Z. Brite, qui est l’une de mes influences principales. Un côté Tanith Lee apparait fortement, j’ai adoré L’opéra de sang. Je me situe donc dans une vision old school. Mon vampire est plutôt méchant même si ce n’est pas une brute. Il est plutôt retors. Pour moi, le vampire est dans la réflexion sur le mal, dans la pulsion du sang et dans celle de la mort.

Je pense continuer à associer le vampire à des tragédies. S’il y a plein d’auteurs qui vont utiliser le vampire à des fins humoristiques, comme Kim Newman, moi je l’inscris dans un drame. Sa nature est issue de l’inconnue. Il se trouve toujours quelque chose pour nous dépasser dans les fictions vampiriques. C’est présent dans mon roman et ça le sera dans les prochains. Il y aura peut-être de petites variations. Des thèmes que je mettrais plus en avant aux dépens des autres.

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Poulpy : En parlant de thèmes, lesquels privilégiez-vous ?

Vincent Tassy : Le désespoir de l’immortalité. Du moins, c’est que qui est présent dans mes fictions vampiriques. L’immortalité est toujours intolérable, insupportable. La seconde chose, c’est que le vampire est toujours une représentation de l’inaccessible, que ce soit à l’au-delà ou à la compréhension.

Poulpy : Dans vos texte, c’est le cas pour le surnaturel en général.

Vincent Tassy : Oui. Et j’exploite le vampire dans ce sens. Par exemple, Aphélion, qui est la figure majeure de mon premier roman, incarne une béance inappréhendable. Si j’ai aussi peu écrit sur les vampires, c’est parce qu’en général je choisis une narration où je regarde par les yeux de mes personnages. Je ne pourrais jamais me trouver dans la tête d’un vampire. Je ne peux pas saisir son immortalité.

Poulpy : Dans le fantastique, dans le folklore que vous mettez en scène, il y a une notion de doute et une grande part d’interprétation. Pouvez-vous nous parler de vos vampires et du but de vos fictions ?

Vincent Tassy : Dans Apostasie on intègre un groupe de vampires qui ont passé des siècles ensemble. Leur amitié se délite au fil du temps parce qu’ils sont seuls face à leur propre ruine. Finalement, les liens, le contact, le langage, ce réduit à presque rien. C’est comme s’ils étaient seuls.

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Ce que j’aime transmettre est un peu basique. J’aime les émotions pures et fortes qui vous désarment, qui vous laissent seul face à vous même, qui vous prennent à certains moments pour retomber et revenir. J’aime la subtilité. Pas quand l’auteur fait tout pour qu’on pleure à certains moments. Si on pleure alors que ce n’est pas le meilleur moment, parce qu’on ne peut pas faire autrement, je trouve cela beaucoup plus touchant. Ce qui me rend le plus triste, ce sont des choses plutôt joyeuses. C’est paradoxal, mais quand la joie pure étincelle, ça me fait pleurer. C’est ce qu’on retrouve dans mon écriture. Pareil dans la musique où j’utilise à peu près la même procédure. Je ne cherche pas à transmettre des réflexions complexes sur la société où je ne sais quoi.

Poulpy : Vous vous intéressez plus à l’individu, au retour sur soi ? C’est ce que nous pouvons comprendre lorsque nous entrons dans les huis clos que vous concevez.

Vincent Tassy : J’écris des récits introspectifs, mais ils ne sont pas du tout personnels. Il y a un rapport inévitable entre moi et ce que j’écris, mais ce n’est pas une métaphorisation de ma vie. La matière que je travaille c’est le psychisme, le parcourt de vies, les réflexions sur soi. En tout cas, c’est ce qu’on retrouve dans mes personnages.

Poulpy : N’y a-t-il pas une expérience ou un rapport à votre vécu qui pourrait vous inciter à écrire ?

Vincent Tassy : Ça va être en rapport avec d’autres œuvres artistiques. Des images me viennent parfois en écoutant une musique. Ça va me tomber dessus, je ne sais trop comment, et je vais avoir envie d’en faire quelque chose. Une situation dans un livre va m’intéresser et je vais y repenser jusqu’à ce que quelque chose en sorte. Ça peut être un instant, un moment, quelque chose d’inattendu qui peut être minime, mais qui va me donner une idée n’ayant pas forcément de rapport direct avec ce que j’ai vécu. C’est un peu banal : mes fictions se nourrissent de la substance vie. Tout simplement.

13_rebellePoulpy : Que remarquez-vous dans l’évolution de vos œuvres par rapport à vos premières publications ?

Vincent Tassy : Mon style a évolué. Au fil des écrits, j’ai expérimenté plusieurs choses et je pense trouver petit à petit ma voie. Est-ce que mes idées ont évolué ? Pas vraiment, car je n’en transmets pas consciemment sur le monde. J’ai toujours les mêmes obsessions sur le rapport à la mortalité et au regard des autres. Le rapport à l’art, aux fleurs.

Poulpy : Les fleurs ?

Vincent Tassy : Dans tout ce que j’écris, je parle de fleurs. Car c’est la poésie que je recherche avant tout. Ça me vient peut-être de ma mère qui a fait une encyclopédie sur les plantes. C’est une passion magnifique. Les fleurs sont des objets fondamentalement poétiques pouvant être beaux et toxiques, qui peuvent prendre plein de formes et ont des noms incroyables. C’est comme un langage à soi seul, chantant et délicat. Si je l’aborde, c’est parce que je joue sur la musicalité des mots. Et cela depuis ma première nouvelle publiée pour La Salamandre, Pour oublier les chrysanthèmes. Elles jouent un rôle hyper important dans mon premier roman. Certains noms sont même inventés.

Poulpy : Mieux vaut des noms de fleurs que des noms d’oiseaux ! Mais alors, qu’est-ce qui peut enchanter Vincent Tassy dans une œuvre ? Cela se résumerait-il à la poésie ?

Vincent Tassy : J’admire deux tendances particulières. C’est les œuvres qui arrivent à poétiser l’horreur et le macabre à l’extrême pour en faire quelque chose de beau, d’où mon attachement au romantisme noir et à des écrivains plus tarifs qui s’y inscrivent, tel Gabriel Wittkop. Et j’aime les écrivains qui ont un style très blanc, très simple, qui ont le sens de la métaphore et qui, dans un chaos d’émotions, arrivent à faire voir une lumière dans laquelle on aurait envie de s’engouffrer. On retrouve particulièrement cela dans la littérature japonaise et dans les travaux de Banana Yoshimoto. Dans les histoires que l’on peut lire dans Kitchen il y a des personnages simples et vrais très inspirants par leur beauté.

14_standsPoulpy : Comment souhaiteriez-vous situer vos livres entre ces deux tendances, et dans le genre de la littérature de l’imaginaire en général ?

Vincent Tassy : Je ne souhaite rien. Quand j’écris, je fais ce que j’ai à faire. Ce sont aux lecteurs de s’approprier les histoires et d’émettre des jugements !

Le Salon du Vampire 2016 recevait Vincent Tassy pour la première fois, même si, comme nous, il aurait aimé se rendre aux éditions précédentes. Lui aussi a adoré l’accueil et l’ambiance ! « C’est un des meilleurs salons auquel j’ai pu assister », dit-il. Et il n’est pas le seul. Plusieurs personnes ont adoré les éditeurs présents proposant de la bit-lit, des thrillers, du vampirisme gothique ou humoristique… Enfin, toutes ses publications que nous avons abordées, et que nous abordons avec ses éditeurs ci-dessous :

Kitsunegari éditions voyage « aux frontières d’une réel » sur un rafiot moins tarabiscoté que celui de nos congénères. Cela ne rend pas ce petit renard moins intéressant. Perrine Rousselot se soucie de publier des auteurs en devenir et écrit, également. Sa série, Jusqu’à l’Aube, en est à son premier tome, La Hyène, que je vous propose de découvrir, si vous n’étiez pas des nôtres pour cette dédicace : Pour être devenu l’un des démons qu’il chassait, Tom MacPherson a été banni. Trente ans plus tard, l’occasion lui est offerte de reprendre du service. Celui qui fut le meilleur chasseur du Clan devra être assisté d’une chamane de quinze ans qui n’a aucune idée de ses pouvoirs ni de ce qu’elle devra accomplir. Avantage ou inconvénient : la jeune fille semble attirer malgré elle toutes les créatures surnaturelles de la région. Sera-t-il en mesure de la protéger ? – cf. kitsunegari-editions.com

15_sharonQuitte à rester dans la romance, autant parler de Rebelle Éditions crée par Astrid Lafleur, proposant en plus de quelques titres vampiriques (sur la centaine proposée) les textes de Valérie Simon, invitée à ce salon pour dédicacer Séismes, une histoire post-apocalyptique convenant parfaitement au thème du week-end. Et n’oublions pas Sharon Kena qui autoédite ses romans sentimentaux tout en publiant les œuvres d’une quarantaine d’écrivaines telles que Cyndie Soue, J.A. Curtol et Audrey Falk. Adolescentes, voici de « la romance comme vous l’aimerez »… Mais il est temps d’arpenter un tout autre « territoire du vampire » :

II. Le vampire incisif

Sous la cape, c’est une association très particulière (que je vous présentais naguère) alliant « le bon goût au mauvais genre » et proposant plusieures « vampirographies » : Le vampire de Wal Street ; Les canines dans le pâté ; Histoires d’Aulx et… Les cahiers du sergent Bertrand de mon amie Céline Maltère, l’auteure du Cycle de Goth et du Cabinet du diable (la Clef d’Argent, une chronique) qui dédicaça tout au long du week-end cet hommage au vampire de Montparnasse. Un psychopathe qui déterra et viola de nombreuses femmes dans les cimetières parisiens au milieu du XIXe siècle… Le vampire prend une toute autre allure avec Sous la cape. On a affaire à de vrais méchants assoiffés, malpropre, « érotomanes » dans ses livres punky qu’il n’est pas conseillé de lire en public. Le concept de Sous la cape étant assez extravagant pour nous charmer, nous avons préparés deux-trois petites questions pour son concepteur :

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Sous la cape édite des livres à faible tirage où la déconnade est maximale. On ne se donne aucune limite dans les choix éditoriaux au niveau des thèmes et des styles très contrastés. Le principe est quand même de rester dans le mauvais genre avec aussi bien du polar que de l’érotisme ou du fantastique et de la science-fiction. Nous mettons à l’honneur les délaissés de la littérature bon teint. C’est une collection terminée, car j’ai pris ma retraite. Autrement j’essayais de garder une ouverture d’esprit dans le choix des textes, dont une toute petite partie est disponible en papier. Le reste, en numérique, est disponible sur le site. Les dernières rencontres que j’ai faites étaient celles de Céline Maltère et de Jean-Marie Audignon, qui ont deux styles complètement différents. Chez Céline l’atmosphère est gothique, l’ambiance est étrange, alors que chez Jean-Marie nous sommes dans la critique sociale acerbe et caustique.

Nous publions des expériences littéraires, comme un faux catalogue de livres, et avions dans l’idée de rééditer des ouvrages parus dans les années quatre-vingts sous la griffe de La Brigandine, une collection kiosque de gare aux textes barrés. Nous avons réédité une dizaine de ces livres, dont ceux de Vaneigem (le philosophe situationniste) et Jean-Pierre Brixou (un grand spécialiste de la littérature populaire). J’ai été éditeur durant quarante ans. J’ai eu pas mal de rebonds dans l’édition classique (Hachette, Larousse, Le polygraphe qui est une structure spécialisée dans les documents encyclopédiques) et Sous la cape a été créée pour faire suite à la collection Déléature, qui c’est arrêté en 2003. L’idée est de se faire plaisir sans souci de diffusion.

17_carnoplasteAucun de nos livres n’est réellement caractéristique. Ils sont hors-normes. Même les romans de vampires sont inclassables. Notamment en ce qui concerne ceux de Patrick Boman qui est surtout connu pour ses récits de voyage. Les vampires de Les canines dans le pâté, Amours, délices et morgue et autres histoires de canines ne sont pas fréquentables, plutôt dans le genre banlieue 93. Ils perdent leurs cheveux et leurs dents, c’est assez caricatural. Les auteurs s’amusent à détourner les règles des genres. Pareil dans les histoires érotiques signées Gille de Raie. Ça, c’est trash. Quant aux livres de Noirceuil, ils ont des bases mathématiques (carré magique, structure chaotique) et renvoient à un autre volume. C’est un jeu subtil… – Pierre Laurendeau de Sous la cape, auteur de Signé Fornax et éditeur de titres tels Le gang des vieillards, Des nouilles dans le cosmos, Peabody se rince l’œil... C’est à voir sur souslacape.fr.

Le Carnoplaste c’est une édition tenue par Robert Darvel que nous avons eu l’opportunité de rencontrer il y a plusieurs années au Bloody Week-end. Ce sexy auteur des Harry Dickson publiés chez Malpertuis (nos partenaires) est aussi un inventeur peu recommandable : il édite des fascicules. Qu’est-ce qu’un fascicule ? Rétorqueriez-vous, choqués comme vous l’êtes par une telle révélation. Et bien, comme le dit ce séduisant monsieur Darvel, c’est un livre édité sous une forme désuète, « un récit complet écrit aujourd’hui, selon l’idée que le premier degré, c’est la subtilité. Alléché par une couverture attractive, le lecteur curieux tombera sous le charme d’histoires diverses : aventure, mystère, au-delà, chevalerie chinoise, catch mexicain, détective cul-de-jatte, horreur, série B, SF, exploitation, crimes solubles et insolubles, récit historique ou préhistorique, western subaquatique, aventures dans l’Himalaya, Romains, neige et calmars etc. »

18_darvelLe Carnoplaste est le seul éditeur de fascicule encore en activité. Cela pourrait surprendre un lecteur de l’entre-deux-guerres, car ces magazines publiant des récits en épisodes sur un format de comics américain sont les incarnations de la Littérature Populaire. Les fascicules font aujourd’hui office de curiosités, un peu comme ses pulp magazines où paraissaient des histoires d’inconstante qualité. Le fascicule est le précurseur du livre de poche, du roman de gare ! Robert Darvel rebondit sur ce très mauvais type de littérature afin de proposer, dans chacune de ses publications, des récits complets ou des séries comportant un personnage récurrent. Les couvertures de ses livres-objets imprimées sur du papier de piètre qualité sont des œuvres d’art à part entière. Elles racontent une histoire sur laquelle vont se baser les auteurs invités afin de concevoir des textes mêlant deux concepts éloignés : Jeanne d’Arc et les vampires.

Jeanne d’Arc est le personnage d’une série de Robert Darvel qu’il était possible de débuter lors du Salon du Vampire. Son irrésistible auteur ne manqua pas de nous la présenter. Robert Darvel, au pseudonyme rendant hommage aux Prisonniers de la planète Mars de Gustave le Rouge, recherche des créateurs d’univers délirants afin d’explorer toutes les familles du genre, de Kipling et Fantômette… C’est kitch. Et c’est bon. D’ailleurs, voici un résumé de son livre : Qui pourrait aller sur Mars à bord d’une felouque nommée O Vermelho (Le Rouge) ? Qui saurait entendre la détresse des Erloors d’Estrémadure, de Kroumirie et… d’Atlantide ? Qui pourrait prendre en pitié l’homme-lyge Maure ? Qui d’autre pourrait être l’armure vivante de Lisbonne ? Qui, croyant ouïr le Roi du Ciel, offrira innocemment son esprit à Jean de La Hire, roi des Boys-scouts ? Qui pourraît reconnaître à l’odeur le gentil dauphin Charles VII ? Qui, née à Domrémy, pourrait seule défaire le Maître des Vampires baugé sous Orléans ? Qui saigne sans discontinuer ? – cf. lecarnoplaste.fr

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Ce tour du coin lecture se clôture avec La porte Littéraire et Mestr Tom accompagné par la graphiste Valériane. Tous deux présentaient leur projet commun, Orobolan. L’idée est celle-ci : concevoir tout un univers de fantasy se déclinant en deux cycles de romans, Le cycle des gardiens et Voyages en Orobolan. C’est bien un univers de rôlistes qui se constitue sous la plume de plusieurs mestres, dont Mestr Tom, qui vous présente en plus de quatre récits une encyclopédie de son monde illustré par de nombreux graphistes. Il présentait également la bande dessinée Lux quest, mettant en scène les drôles d’aventures de quatre monstres, et un troisième projet, L’académie de minuit.

Partie 2, Rencontres littéraires
Nos interviews des invités d’honneur !!!

Kim Newman est l’auteur d’Anno Dracula, une suite à Dracula mettant en scène le comte dans de nouvelles aventures. La série en quatre tomes datant des années 90 est tout nouvellement retraduite dans la langue de Clarimonde (ou de Lestat, selon votre école vampirique favorite) (et c’est à découvrir chez Bragelonne). Passionné par l’Horreur, Kim Newman, s’évertue à revisiter l’Histoire et les classiques, que cela soit avec son imaginaire ou par ses critiques cinématographiques (notamment). De prestigieuses récompenses marquent sa carrière (International Horror Award, Ozone, British SF/fantasy). Dans le domaine qui nous intéresse, il en est un plus important que les autres : le prix Bram Stoker qu’il remporta deux fois. Kim Newman est également novelliste. Nombre de ses histoires plus ou moins vampiriques se retrouvent liées à des licences connues (Warhammer, Coppola’s Dracula). Une interview par l’équipe de Vampirisme vous permettra de mieux cerner le personnage.

20_livresNous y apprenons que Kim Newman entretient depuis toujours un penchant pour les uchronies. C’est cet intérêt qui l’a poussé à démarrer sa série phare, Anno Dracula, et à rédiger des essais sur nombre d’auteurs de science-fiction (notamment). L’uchronie est un genre où l’on peut quasiment tout se permettre en restant encré dans le réel, dans l’Histoire avec laquelle on s’amuse même si celle-ci peut s’avérer fictive. Anno Dracula peut alors être considéré comme un hommage à Bran Stoker et à de nombreuses figures que nous ne penserons pas lier (Carmilla, Lord Ruthven, Jack l’Éventreur, Sherlock Holmes, James Bond…). Le vampire immortel procure une liberté nouvelle par son existence fictive pourtant transposable à notre réalité. Nous nous posions cette question : qu’est-ce que l’uchronie selon Kim Newman ?

Kim Newman en interview !

Kim Newman : Je m’intéresse à l’Histoire alternative, à l’uchronie, mais je ne suis pas sûr que j’en réalise. J’ai lu deux ou trois livres à propos de ça. Je n’ai pas le sentiment que les Anno Dracula sont réellement liés à ce genre. Quoique le premier livre est basé sur ce type d’histoires : l’idée qu’une bataille se termine d’une façon totalement différente. J’étais intéressé par le fait de concevoir un monde parallèle semblable au nôtre, mais de manière fracturée.

21_kimLorsque j’ai réalisé le premier Anno Dracula, je ne souhaitais pas concevoir un univers alternatif parce que c’est déjà un monde fictionnel. Nous nous trouvons dans l’univers de Dracula. Mes livres transmettent plus une vision satirique du dix-neuvième siècle ou du vingtième siècle qu’une histoire où l’on se questionne à propos du fait que les choses se soient déroulées différemment.

L’uchronie est un genre permettant de remodeler la réalité. Elle ne l’améliore pas forcément. Dans mon cas elle ne l’empire pas non plus ! La raison pour laquelle j’en ai fait une histoire de vampires est parce qu’il y a une sorte de vérité entourant cette figure. Si on omet cette terrible soif de sang, de procréer, de dominer, la passion de la politique et de la vie publique, on voit transparaitre autre chose de plus… sympathique. Utiliser cela en guise de prémisse m’a permis de jouer à des jeux, de me moquer du monde tel qu’il est vraiment, plutôt que d’imaginer un univers complètement différent.

Améliorer la réalité ou une fiction n’est donc pas un but recherché par cet auteur dans ses œuvres. Tient-il plus au fait de concevoir une suite et de nous lier avec certaines personnalités, certains moments de l’Histoire ? « Nous avons probablement plusieurs attitudes envers les livres, comme envers Dracula, par exemple, et c’est bien de jouer avec ça. Différents lecteurs auront différentes images d’une certaine chose. J’espère les avoir toutes mises en scène. » – Que peut bien Kim Newman rechercher dans ses créations personnelles ?

22_newmanKim Newman : J’essaie de ne pas réfléchir à cela ! J’aurais peur de concevoir une vision trop académique des choses. Je n’essaie pas d’interpréter ce que transmettent mes propos. Je réfléchis plutôt aux ères que j’ai envie de mettre en scène, que j’ai envie d’explorer, et j’essaie d’y trouver un sens. La plupart de mes histoires commencent par la création de personnages, même si cette série a tendance à débuter par un cadre. Je tente de me situer dans une année et dans un lieu particulier. J’ai écrit un livre à propos de la Première Guerre mondiale et j’en conçois un à propos du Japon en ce moment. Je visite ces cadres, puis je travaille sur toutes les choses qui en découleront : comment connecter ces époques entre elles, comment les introduire dans la vision d’Anno Dracula ?

Poulpy : L’idée générale d’Anno Dracula est donc de modifier la vision du vampire ainsi que l’Histoire en général ?

Kim Newman : L’idée est de la contrefaire. J’écrivais à propos de l’époque victorienne lorsque j’ai commencé. Et maintenant, nous nous trouvons vingt ans avant notre époque ! J’ai intégré des événements qui se sont passés entre temps. Pourquoi écrire ce type d’histoire ? J’aime juste inventer des choses ! Ok, je fais beaucoup de recherches. Mais je n’ai pas à être complètement marié avec l’Histoire, comme quand on écrit des romans historiques. J’aime l’idée d’un vaste monde rien qu’à moi dans lequel je peux tout me permettre.

Je n’écris pas vraiment à propos de la série Dracula. J’essaie de la conserver telle que Bram Stoker la fait. À chaque fois que l’on voit le personnage de Dracula, il est différent. La raison à cela est que je souhaitais évoquer toutes les versions de Dracula, du livre en passant par l’interprétation de Bela Lugosi, de Gary Oldman, Nosferatu, toutes ces visions que je voulais transmettre. Je ne souhaitais pas insulter ou camoufler l’image de Dracula, ni même l’expulser de la série. Je suppose qu’il doit toujours représenter la pire chose au monde. Je n’en ai pas réellement fait un archétype planifiant l’histoire, car de nombreuses personnes ont d’ores et déjà réalisé ce type de fiction. Mon Dracula n’est pas un personnage plus romantique qu’il ne l’est, ou une figure militaire, etc. J’ai décidé de ne pas partir là-dessus, de prendre de la distance avec tous ces aspects ! C’est juste un monstre.

23_tablePoulpy : Pourquoi vous attachez-vous à représenter certaines figures plutôt que d’autres ?

Kim Newman : Je ne sais pas trop d’où vient la distinction entre les personnages avec lesquels j’aime m’amuser et les autres. Je suis attiré par certains concepts comme « qu’est-ce que ce serait si nous vivions dans un monde gouverné par Dracula ? Qu’est-ce que ça ferait si on vivait de l’autre côté du miroir du fantôme de l’Opéra ? » Toutes ces figures tirées du dix-neuvième siècle sont en quelque sorte des master minds. Pareil pour Sherlock Holmes. Je me demande ce que cela ferait à des gens ordinaires de se retrouver coincé à côté d’eux. Je reviens toujours plus ou moins constamment à ce thème. Pas qu’il me préoccupe. C’est une chose que j’ai remarqué. Je pense que l’idée de se faire une place dans un monde vraiment terrifiant, dans un terrain hors limite, de faire sa vie d’une façon morale dans un monde immoral, est une chose à laquelle je reviens souvent. Mais je ne réfléchis pas à ces questions lorsque j’écris ! J’ai tendance à penser à l’intrigue avant tout, à la construction de mes personnages et à la suite. L’interprétation arrive toujours plus tard.

Poulpy : Et par rapport à vous. Quelle sorte de figure voulez-vous que ceux qui suivent vos travaux fassent perdurer ?

Kim Newman : Je ne pense pas qu’il me soit possible d’y réfléchir. Je fais partie de ses personnes qui aiment être invisibles. L’autre facette de mon travail est celle de critique, donc je fais un peu de broadcasting et d’écrits, et je suis tout à fait au courant d’être une petite figure publique. Ce n’est pas quelque chose que je travaille particulièrement. Je me concentre plus sur mes œuvres que sur le fait de présenter une image ! Je préfère être perçu comme quelqu’un dont les livres valent le coup d’être achetés !

24_annodraculaPoulpy : Votre figure sera toujours liée avec une image contemporaine du mythe du vampire, ou de l’horreur moderne. Que pensez-vous de cela ?

Kim Newman : Il y a de nombreuses façons de répondre à cela. J’ai des amis qui ont conçu des franchises à succès. J’ai connu Terry Pratchett et Neil Gaiman est un ami à moi. Ils ont tous une œuvre pour laquelle ils sont connus. Neil est souvent branché sur ses comics, il a eu une période où tout le monde voulait lui parler de Sandman. Et tout le monde voulait parler du Disque monde avec Terry. Mais ils ont tous deux écrit plein d’autres livres ! Pourquoi ne leur en parle-t-on jamais ? Bien évidemment, sur le Salon du vampire on va parler d’Anno Dracula, mais sinon je me sens chanceux d’être branché sur les trois ou quatre autres trucs que j’ai écrits.

J’ai réalisé un livre sur les films d’horreur appelé Nightmare movies qui est plébiscité par plein de fans ne sachant même pas que je suis romancier ! Et j’ai écrit un livre qui n’a jamais été traduit, Life’s lottery, sur lequel j’ai de nombreux retours de personne ne s’intéressant pas forcément à mes autres fictions. Certains ne me connaissent que pour les petites colonnes rédigées pour Empire magazine, Moriarty rameute tout un tas de fans de Sherlock Holmes… Donc je ne me sens pas étranglé par Anno Dracula, même si c’est mon plus gros succès. Je suis heureux de pouvoir réaliser et parler de différentes choses !

Poulpy : Avec le recul, que pensez-vous de l’impact de vos contributions littéraires dans le monde de la littérature de l’imaginaire et, plus particulièrement, vampirique ?

Kim Newman : Originellement, je ne me posais pas non plus cette question de l’impact. J’étais bien conscient de travailler dans une tradition particulière, de jouer avec les jouets d’autres personnes. Je savais que mon travail se relatait à d’autres œuvres, mais, honnêtement, je ne me figurais pas que quelqu’un essaierait de reproduire cette méthode avec mon propre travail ! Au fil du temps, j’ai commencé à voir apparaitre plusieurs livres se déroulant dans des endroits similaires à ceux que je mettais en scène. Ou, pour être moins poli, j’ai vu arriver des imitations de mes œuvres.

25_moriartyIl y a quelques semaines de cela, j’étais en train de regarder un dessin animé japonais basé sur une de ses imitations d’Anno Dracula, Empire of corpses, qui met en scène Frankenstein à la place de Dracula. De nombreuses personnes utilisent mon approche un peu partout dans le monde. Ça m’irrite légèrement, car cela signifie que je ne pourrais pas écrire un livre sur Frankenstein ! Même si j’ai réaliser un tout petit truc sur le sujet cette année… Le problème quand on commence à utiliser mon travail, c’est qu’à chaque fois que quelqu’un le fait, c’est toute une ère qui devient inutilisable, que je ne peux plus aborder !

Je suis assez divisé à propos de cet impact. Il existe de nombreuses œuvres similaires à celles que j’ai réalisées, et qui sont arrivées plus tard. Je pense qu’il est difficile de retourner à des travaux antérieurs quand tout un tas de gens a rebondi sur mes idées. Mais je suis en quelque sorte si impliqué dans ce cycle de livres, que je ne peux pas changer radicalement le propos des prémisses dans le but de concevoir quelque chose de différend ! J’essaie de ne pas emprunter les idées de ceux qui ont emprunté les miennes ! Et bien sûr, c’est assez flatteur de voir que des gens qui ont lu mes livres veulent à présent réaliser les leurs. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire. Et c’est bien de voir que d’autres le font aussi.

Poulpy : Alors, comment souhaitez-vous que les lecteurs interprètent vos travaux, vos passions ?

Kim Newman : Je ne sais pas. Je suis du genre à poser un truc dans un coin et à laisser le lecteur le regarder de la manière dont il le souhaite. Je suis conscient de signifier de nombreuses choses m’étant personnelles dans mon travail, mais peu de lecteurs vont réellement comprendre mes suggestions à la manière dont je les sous-entends. J’espère juste que chaque lecteur a ce qu’il souhaite de la lecture. J’aime beaucoup découvrir les différentes interprétations qu’on peut avoir, les sentiments des lecteurs, à propos de choses que j’écris.

26_espritlivreJ’aime écrire des histoires. Et dès qu’elles sont publiées, elles ne m’appartiennent plus. Elles sont à tout le monde. Même si… dans le cas de séries en cours comme Anno Dracula, je suis moins apte à les lâcher. Je ne sais d’ailleurs pas s’il y aura une fin un jour ! Dans toutes ces séries, j’ai envie de revenir sur certains points, écrire quelque chose de nouveau en restant dans le sujet. J’ai envie d’écrire une suite à Moriarty qui se passerait après Le chien des d’Urbervilles (The hound of d’Urbervilles) et qui s’appellerait After Moriarty, où l’on vivrait avec le professeur Moriarty au lieu de vivre sans, comme dans ce livre-ci. Et j’ai envie de refaire un truc avec mon fantôme de l’Opéra de Angels of music. Quelque chose qui se passerait en France au vingtième siècle. En gros, j’écris à propos de ce qui m’intéresse et j’espère que ça se connectera avec quelques lecteurs par-ci par-là.

Poulpy : Donc il est difficile pour vous de lâcher complètement un de vos univers ?

Kim Newman : Oh oui ! Je veux toujours approfondir, découvrir plus de choses sur un sujet, le réutiliser ou essayer de comprendre ce que mes personnages pourraient faire dans certaines situations ! Parfois ça arrive dans des livres que je n’avais pas l’intention d’écrire. L’idée poursuit son cours et, parfois, je me réveille la nuit en me demandant ce qui est arrivé à un de mes héros ! Ça fait partie de mon processus de travail. Je pense que c’est une chose que j’ai en commun avec de nombreux romanciers.

Poulpy : Avec votre carrière d’écrivain et de critique, vous avez l’opportunité de transmettre un nombre incroyable d’univers. Y en a-t-il que vous préférez ?

27_annericeKim Newman : Les miens, probablement ! Je sais que ça à l’air extrêmement égoïste, mais je suis tellement passionné par mes créations ! Cette sorte de liaison entre plein d’univers présente dans mon travail me rapproche de ses auteurs que j’aime : Bram Stoker, Conan Doyle, Gaston Leroux, etc. Ils font tous partie de ma culture. Mon dernier livre paru uniquement en Angleterre, The secret of Drearcliff Grange School, est probablement mon œuvre la plus intime. Même si Life’s lottery ou The quorum me sont liés plus personnellement encore. Cela parle de gens comme moi et de mon type de vie. Si j’en parle, c’est bien parce que mon intérêt s’y trouve !

Poulpy : Vos contributions dans la science-fiction et l’horreur anglaise démontrent un profond respect pour votre pays, pour sa culture, son mode de vie. Je me trompe (pour un français comme moi, cette question me semblait primordiale afin de percevoir cet esprit anglais qui semble le posséder) ?

Kim Newman : C’est vrai, mais je le déteste tout autant, comme tout le monde ! Certaines choses à propos de la Grande-Bretagne m’énervent vraiment, comme pour ce qui est de l’Amérique, et j’aurais surement des critiques à faire par rapport à la France si je devais m’y installer. D’ailleurs, mes livres parlent tous de ce fait ! Il est vrai que j’ai un intérêt pour ma culture avec laquelle je me sens coincé, parfois. Je ne me considère pas comme un traditionaliste à propos de cet aspect-là ! Politiquement je me situe bien à gauche… La littérature populaire anglaise a peut-être toujours été définie par Dickens, qui était un écrivain très traditionaliste. Sans vouloir me comparer, je suppose que je me situe sur ce type de terrain. Au niveau de mes opinions, je me sens personnellement plus proche de Raymond Chandler, qui est américain bien qu’il se soit toujours senti anglais.

28_jdrPoulpy : Donc vous prenez des références traditionnelles, des époques où l’influence anglaise est bien marquée, et vous utilisez cette matière de manière critique ?

Kim Newman : Je fais ça. Bien que mon dernier livre soit tourné vers la culture française ! Peut-être étais-je à court de matière sur l’Angleterre. Le prochain tome d’Anno Dracula aura lieu au Japon, comme d’autres qui ne se situent pas dans ce pays. Johnny Alucard est en quelque sorte une critique à propos de l’Amérique, et plus particulièrement d’Hollywood. C’est à propos de la vision de Dracula. On s’éloigne de toute britishness. Et puis, la plupart des personnages d’Anno Dracula sont français ou irlandais. Je tends à prendre une certaine distance.

Poulpy : Lorsque vous posez la plume du critique pour prendre celle de l’écrivain, vous arrive-t-il d’emmêler ses pinceaux et d’enrichir vos écrits par une vision critique de certains sujet et genres ? Ces deux professions communiquent-elles et s’enrichissent-elles mutuellement ?

Kim Newman : Je ne fais pas de distinction entre ces travaux, même s’ils sont très différents. Par exemple, des œuvres comme Anno Dracula ou Moriarty peuvent être vues comme des critiques littéraires en même temps que tels des fictions. Parfois c’est très flagrant, comme dans Dracula Tcha tcha tcha où j’essaie de transmettre ce que je ressens par rapport à Ian Flemming et à James Bond. Ma vision de ses œuvres est assez critique, elle n’a rien d’une célébration ! Ce constat est faisable dans quasiment toutes les histoires où j’utilise le monde ou les personnages de quelqu’un d’autre. Mais nous retrouvons cette méthode dans la plupart des œuvres d’aujourd’hui. On démarre en regardant quelques grands classiques, victoriens ou datant du début du vingtième siècle, qu’on relit en pensant à quel point c’est incroyablement raciste ! Parfois c’est vraiment offensant. Les auteurs voulaient-ils dire ça ? Parfois on est au contraire étonné par la modernité du texte.

29_trolluneJ’essaie de prendre en compte tout cela en revisitant ces mondes ou en les observant. L’épigraphe de Angels of music, sur le fantôme de l’Opéra, est tirée d’un passage du livre de Gaston Leroux qui n’a jamais été utilisé dans des films ou dans des pièces de théâtre. Le fantôme explique à Christine, la fille qu’il a kidnappée, quel type de vie il désirerait pour elle. Ça sonne comme le discours d’un control-freak ! C’est le genre d’histoire qu’on lit dans la presse à propos de relations qui se seraient mal finies. Nous réalisons qu’en dessous de cette formidable romance gothique se cache une banale histoire humaine à propos d’un mec qui doit porter un masque et qui observe une fille depuis les sous-sols. Mais ce qu’il aimerait, c’est juste se promener au parc comme le parfait bourgeois ! C’est si pathétique et terrifiant… et vrai ! Et nous trouvons ça dans un livre de 1912. J’aime y faire un coup de projecteur.

Quand j’écris, j’ai donc tendance à partir sur quelque chose de petit. Il m’a fallu près de dix ans avant de pouvoir écrire Anno Dracula. Mes idées mettent du temps avant de me faire tiquer, avant que je les concrétise par écrit. Je rajoute ensuite des morceaux, des personnages ou des complots tortueux et, éventuellement, j’en ai assez pour en faire un livre. Ou bien je vais penser longuement à quelque chose et commencer mon livre ainsi. Comme je disais, je ne commence pas souvent avec un thème, mais avec une envie d’explorer.

Ce week-end, nous avons envahi, par de nombreuses conversations, Le territoire du Vampire. Que pensait Kim Newman de tout ce bruit, de tous ces chemins balisés par l’organisation du salon et par les exposants ? Quel est celui qu’il choisirait de prendre si on lui demandait de décrire « Le territoire du Vampire » ?

30_jeuxKim Newman : Je suis en effet intéressé par ce thème ! Je l’aurais abandonné des années auparavant si je ne le trouvais pas éternellement fascinant. Évidemment, le fait que nous soyons tous réunis ici prouve qu’une apparence sauvage et étrange nous séduit toujours dans le mythe du vampire. J’essaie encore de trouver ce à quoi ce territoire correspond. Je l’explore toujours et je continuerais toujours. J’aime toutes ces variations ! Ce concept n’a pas qu’un sens, donc il est bon de jouer avec toutes les visions que nous pouvons avoir…

C’était Kim Newman, l’invité d’honneur de cette nouvelle édition du Salon du vampire, avec nous pour un moment touchant que nous n’oublierons jamais ! Un moment que nous prolongerons au travers de plusieurs retranscriptions, de sa rencontre organisée par Adrien Party, évidemment, et des tables rondes Le retour des vampires victoriens et Le vampire, ce globe-trotter ! C’est à venir. Remercions-le une nouvelle fois pour ces entretiens et toute sa patience !

Les vampires sont de terrifiantes et horribles créatures assez intelligentes pour que nous puissions converser avec, tout en étant de véritables icônes de la mode. Ils peuvent être incarnés de nombreuses manières – bien plus, par exemple, que les loup-garous et les momies – et pour moi, une partie de l’intérêt d’Anno Dracula a consisté à trouver de combien de manières différentes j’allais pouvoir présenter les vampires, du monstre pestilentiel au sympathique surhomme, dans un univers unique. Je pense que la pérennité du thème du vampire n’est pas due à une interprétation particulière, mais au fait qu’il y ai un nombre infini de sens pour le mythe. Les vampires sont, indubitablement, les plus sexy des monstres majeurs, ce qui aide certainement. – Kim Newman sur vampirisme.com.

31_badreamsAlain Pozzuoli fait partit de ses personnes ayant rebondi sur le thème Dracula, personnage à qui il consacra une « bible ». Il s’en inspire d’une manière différente de celle de Kim Newman. Lui ne conçoit pas tant de fictions, mais des livres de référence parfois humoristiques : deux de ses essais sont basés sur Bram Stoker (Prince des ténèbres, Dans l’ombre de Dracula) et deux livres regroupent les nouvelles inédites du Maître (Œuvres, Au delà du crépuscule), un recueil à vu le jour sous le joug d’Alain Pozzuoli (Baisers de sang – 20 histoires érotiques de vampires), des guides de l’univers vampirique portent son nom (Quand les vampires ont les crocs et Le goût des vampires). Il semblait judicieux d’interviewer ce Spécialiste parmi les pros, de lui demander sa définition du territoire du Vampire semblant s’agrandir chaque année et envahir toute sorte de publics :

Alain Pozzuoli en interview !

Alain Pozzuoli : Le territoire du vampire est vaste ! Comment peut-on le circonscrire ? Dans un domaine géographique, intellectuel ? Ça peut partir dans tous les sens ! Le territoire du vampire est difficilement réductible puisqu’il est lié aux ressorts de l’âme humaine. À ce que nous cachons, que nous n’arrivons pas à cerner.

32_alainDracula c’est la matrice. La preuve est que des auteurs fantastiques écrivent des histoires de vampires en s’y inspirant dans tout les pays. Le vampire ne se limite pas aux Carpates. C’est une des créatures les plus universelles qui soient. On en trouve des traces partout, à toutes les époques, portant différents noms, mais ayant la même essence. Il appartient à l’humanité tout entière.

Le vampire provient de deux choses. La peur de la mort, et la peur de la sexualité. Tous les humains sont forcément concernés. Je trouve que l’immortalité du vampire n’est pas un cadeau. Il n’y a rien de pire que l’éternité. Que d’être condamné à vivre toujours la même chose et que d’errer sans cesse. C’est bien que les choses aient une fin.

Poulpy : La fiction vampirique est partagée en plusieurs courants. Comment qualifierez-vous celui dans lequel vous vous sentez entrainé ?

Alain Pozzuoli : Le mouvement gothique. D’abord parce que c’est la base, et puis c’est celui que je trouve le plus riche. Le romantisme vampirique va avec. Le gothisme est en quelque sorte son dérivé. Le vampire a débuté dans l’univers romantique, puis a explosé dans l’univers gothique. J’aime le côté théâtral, la figure élégante qui en impose, inquiétante et attirante à la fois. Elle inspire du respect. Nous n’avons pas envie de taper sur le ventre du vampire, ce n’est pas un copain ! Cette admirable figure est mythique ! Elle est pleine d’ombres, de secrets pouvant faire peur. Le vampire c’est un don Juan manigançant presque malgré lui. Son image est tellement forte qu’on se laisse avoir même si ce n’est pas sa volonté !

33_pozzuoliPoulpy : C’est l’être torturé qui vous attire, symbolique, peut-être même tentateur ?

Alain Pozzuoli : Pour moi le vampire, c’est quand même Dracula de Stoker ! Je ne trouve pas que c’est un être diabolique, mais qu’on veut faire passer pour diabolique parce qu’il ne correspond pas aux critères habituels, à la bonne morale bourgeoise. Quand on le regarde bien, on se dit que c’est quelqu’un habité par, paradoxalement, une pulsion de vie. On lie toujours le vampire à la mort, mais ce qui transpire de lui est le désir de séduire. Donc c’est la vie ! L’ambiguïté se situe là.

Il n’y a pas qu’une vision du vampire. Celle que Stoker a donnée, c’est celle de la société victorienne. Elle était très rigoriste et réactionnaire. Ma vision n’est pas négative. C’est une autre façon d’être, de s’assumer autrement qu’avec la morale traditionnelle. C’est courageux !

Poulpy : En même temps, le côté bestial du monstre s’oppose à ce qu’on l’apprécie.

Alain Pozzuoli : Ouais, mais ça aussi c’est une façon de voir. Ce côté bestial, c’est l’image que Stoker en a donnée par le prisme de la société victorienne et de la religion. En fait, le vampire est tout simplement humain. Il a les mêmes désirs. Ça peut être pris pour de l’animalité, mais c’est le parcours de nos vies.

34_stokerPoulpy : Vous ne recherchez donc pas l’image transmise par le folklore moins ragoutant.

Alain Pozzuoli : Ce n’est pas ce qui me séduit. J’en retiens les aspects positifs. Ce qui enjolive le mythe. Évidemment, il y a toujours des visions négatives. Comme dans toutes choses. Ce que j’aime dans le vampire c’est son côté parfois victime, rebelle, mais pas pervers. Bien sûr, je fais toujours référence à Dracula.

Poulpy : Cette dernière décennie a été marquée par un engouement féroce pour le vampire dit « romantique ». C’est un tournant décisif prenant racine dans des adaptations projetant une vision bien plus ancienne que nous pourrions le penser… Le vampire s’est transformé avec les romantiques. Que pensez-vous de ce renouvellement du drama et, plus généralement, de l’évolution de la figure du vampire ?

Alain Pozzuoli : Là, par contre, je trouve qu’il y a une perte de « valeurs », même si je n’aime pas cette formule. On a un peu dévoyé l’image du vampire. Avec des trucs comme Twilight, c’est devenu quelque chose de très édulcoré. De très nunuche. Alors que le vampire est quand même un personnage qui en impose ! Il y a des codes traditionnels dans la littérature vampirique qui ne sont plus tellement utilisés. Du coup, on perd en extraordinaire. Le vampire devient comme tout le monde. En même temps, au niveau du fond, c’est plutôt bien. Ça veut dire que le vampire est de moins en moins vu comme un monstre, mais plus comme nous. Dans la littérature et même dans le cinéma, plus on se rapproche de nous, moins le vampire devient mystérieux.

35_boitesAlain Pozzuoli place le vampire, Dracula en particulier, sur un piédestal. L’héritage de Stoker est gigantesque. « On est forcément passé par cette influence-là », dit-il. Les renouvellements de la mode vampirique diminuent son aura. « Sauf peut-être dans le livre Laisse-moi entrer, qui a été adapté sous le titre Morse, qui a eu son remake en américain qui, là, donne une vision effrayante du vampire, pas sexy du tout. Mais en même temps, c’est un grand bouquin allant au-delà du roman vampirique. Cette œuvre marque une date. Il y a Dracula au XIXe siècle, Entretient avec un vampire d’Anne Rice dans les années soixante-dix, et Morse au XXIe siècle. Cela prouve qu’on peut renouveler le genre. »

Toute grande œuvre est obligatoirement suivie par une multitude de plus ou moins bons livres. « Le côté positif est que cela développe les imaginaires, fait ressurgir de nouveaux auteurs, de nouvelles créations qui se nourrissent entre elles. » D’un autre côté, diriez-vous que le vampire, par sa popularité, s’enfantine, que nous l’utilisons comme un produit dérivé ?

Alain Pozzuoli : Ça peut. Twilight est un bon exemple. Mais le regain d’intérêt est une bonne chose. Les produits dérivés proviennent de notre société de consommation. On peut adapter ça à n’importe quel univers ! N’importe quel personnage peut tomber dans ce travers, et cela ne dépend pas du mythe.

36_suitePoulpy : On se sent obligé, pour rester dans cette image du vampire ou bien pour en sortir, de réinventer d’autres dénominations pour se différencier. Des mots comme strigoï, stryges, vampyres… Comment comprenez-vous cela ?

Alain Pozzuoli : Ces dénominations ne sont pas nouvelles. Les lamii, tout ça, font partie de la mythologie. On redécouvre peut-être ces folklores. C’est possible.

Le vampire est donc subversif. Il révèle nombre de caractères qu’une humanité ne saurait approuver. « C’est une de ses qualités principales ! C’est pour cela qu’il est la cible des traditions. Il dérange les tenants de la société, car c’est un contre-pouvoir. » La société vampirique serait-elle plutôt libérale ou plutôt conservatrice dans notre climat actuel ?

Alain Pozzuoli : J’aurais tendance à penser qu’elle est libérale, étant donné les contraintes que subissent les vampires, les interdits. Quand on est dans cette position, on a forcément l’esprit plus large ! Ça ne marche pas pour tout le monde non plus.

Alain Pozzuoli s’est essayé à de nombreuses formes d’écriture, que cela soit afin de concevoir des chansons, des scénarii, des feuilletons, ou bien des nouvelles. La musique, le cinéma et l’écriture sont ses trois domaines de prédilection. Nous savons qu’il a adapté de grands classiques pour la radio comportant leurs lots de créatures monstrueuses pour qui il a un penchant, très flagrant dans sa bibliographie. Bram Stoker, son idole, est cité de nombreuses fois dans sa carrière journalistique radio et télé. Un de ses points communs avec Kim Newman est bien son intérêt pour la fiction rejoignant la réalité pour former une mythologie autour de visages popularisés : Dracula est le meilleur exemple qui soit. Là où se situe une zone d’Ombre commence la fiction…

37_invitesAlain Pozzuoli : L’image de Dracula, c’est Stoker qui l’a donné. Il a eu de multiples influences, littéraires et inconscientes vis-à-vis de son vécu. Un mythe est une espèce de canevas qui se cristallise dans un personnage unique. Dracula c’est à la fois quelque chose d’extraordinaire, de « monstrueux », et la quintessence de l’homme. Ça réunit dans un seul mythe toutes les interrogations, toutes les terreurs, toutes les zones floues pouvant traverser l’esprit d’un individu. C’est pour ça qu’on ne finira jamais de se rendre compte de l’importance de ce roman. Il touche une multitude de thématiques. Voilà pourquoi c’est un classique ! Tout le monde s’y retrouve.

Poulpy : Nombreux sont ceux qui s’enfilent dans des œuvres pour transmettre leur propre interprétation, pour former leur propre mythologie autour de figures telles celles des vampires… Que voyez-vous dans le courant de classiques que Dracula a engendré, et qui constituerait votre interprétation du vampire ?

Alain Pozzuoli : Je préfère toujours l’adaptation la plus fidèle parce que je suis un puriste ! Mais il peut y avoir des dérivés intéressants. Il y a Dracula et il y a vampires. Ce sont deux choses différentes. Il y a de bonnes et de moins bonnes adaptations de Dracula en films, et des films qui donnent leurs propres définitions du vampire en ce dessoudant complètement de l’œuvre de Stoker. Laisse-moi entrer est une bonne interprétation du vampire moderne. C’est un tournant. Créer quelque chose de nouveau en utilisant des codes connus, en modernisant le tout, en créant quelque chose d’aussi fort que le modèle, c’est exceptionnel. On a du mal à reconnaître le mythe ! Je ne vois pas de courant d’œuvres vampiriques, à par cette mode de la bit-lit qui n’a pas apportée grand-chose. Ça en a plutôt enlevé. Laisse-moi entrer, ça, c’est subtil !

38_caisseCe personnage qu’est Alain Pozzuoli me semble vraiment censé et ne mâche pas ces mots, prouvant une force de caractère que tout fan exigeant ne pourrait que constater, voir même apprécier ! Son interview sur le site vampirisme.com nous présente son analyse du Mythe du vampire : Peut-être justement parce qu’il évolue sans cesse et aussi parce que c’est un miroir. Celui de nos peurs, de nos frustrations, de nos fantasmes les plus secrets. Et c’est un personnage qui se fond dans tous les milieux, toutes les époques, toutes les situations. Le vampire est un être qui doit combattre seul face à une société hostile (et en ce moment on peut dire que c’est une situation d’actualité !), on le prend donc forcément immédiatement en sympathie. Et puis il y a l’attirance érotique du vampire. N’oublions pas que c’est un séducteur. On peut le voir aussi comme un prédateur, mais là entre en jeu le phénomène « attirance-répulsion », on n’y peut rien, ça fonctionne toujours, quelque soit le sexe ! Le vampire est en fait l’illustration de toutes les pulsions et de toutes les contradictions humaines !

Le vampire est passé d’une créature folklorique à toute sorte de figures actuelles. Si nous nous rendons là où la réalité rejoint la fiction, aux origines du vampire, que verrions-nous ? Peut-on vraiment répondre à cette question ? Nous le découvrirons dans une certaine conférence… La suite dans la troisième partie ! Alain Pozzuoli fût « assez bluffé par l’organisation d’un salon aussi jeune que le Salon du vampire. » Il était l’invité de la conférence Le retour des vampires victoriens (à la suite). Quant à Morgane Caussarieu, vous la découvrirez avec Le vampire, ce globe-trotter, et avec la présente interview…

39_concoursMorgane Caussarieu lie avec habileté nos vampires à des courants de pensée modernes, libertaires, post-punk plus que gotique. Cette créature est quasiment inhérente à ses œuvres ayant eu un succès non négligeable : Je suis ton ombre, son second roman après Dans les veines, a reçu les prix Bob-Morane et Planète SF des blogueurs. Les thématiques abordées dans ses deux volumes, surprenants tant ils chamboulent la sphère vampirique par un langage cru propre au splattterpunk, sont abordées dans un essai intitulé Vampires et Bayous : sexe, sang et décadence, la résurrection du mythe en Louisiane. Morgane Caussarieu retourne aux sources du vampire, à son folklore dénué du romantisme dont on dote aujourd’hui n’importe quelle publication vendeuse. Elle a arpenté le territoire de ses êtres, qui ne se trouve pas seulement en Transylvanie, mes chers amis, mais partout dans le monde. Le vampire ne connait pas de frontières, n’a pas de restrictions. C’est cela que l’on comprend en lisant les textes de Morgane Caussarieu, qui nous confronte à une bestialité primaire tapie au fond de nous, indissociable de nos pulsions que les vampires semblent incarner. On les a inventés pour mieux expulser de dangereuses passions, les faire se réincarner dans un Autre dont on a peur mais qui nous attire…

Morgane Caussarieu en interview !

Les romans et nouvelles de Morgane Caussarieu sont emplis d’une sexualité non camouflée, comme si les œuvres modernes ne devaient plus craindre de briser des tabous, de voir l’amour pour ce qu’il est : du désir. Donc, tout en retournant à la genèse du vampire, on réinvente une littérature, on parle d’auteurs plus actuels que ce brave Stoker, telles Anne Rice ou Poppy Z Brite, prouvant que le vampire n’est pas seulement une affaire d’homme et que la Femme est prête à prendre sa juste place. Sur les couvertures de livres, elle ne figure plus telle une victime. Elle s’affirme, s’assume. À bas le puritanisme sauvegardé par des héros poussiéreux.

40_morganeLe vampire a, en quelque sorte, gagné sa place de maître, puisque nous sommes toujours plus nombreux à transgresser le dogme de la morale et à joindre ses orgies. De Morgane Caussarieu, nous avons chroniqué une nouvelle parue dans l’anthologie Luciférines Nouvelles Peaux. Il était temps de la rencontrer. Voici son blog et une interview sur vampirisme.com où elle nous explique vouloir créer un contraste entre le véritable vampire et les pâles représentations « à la Twilight » :

Le vampire fascine car c’est une figure double, un paradoxe : vivant et mort à la fois, séduisant et repoussant, un démon au visage d’ange. Au fil des siècles, le vampire s’est adapté à la société pour survivre, mais il s’est ramolli dans le processus. En Europe de l’Est, au 18ème, le vampire incarnait la peur de l’Autre, c’était un bouc émissaire parfait, un démon responsable de tous les maux de la société. A partir des années 70, le vampire devient un anti-héros, auquel on peut s’identifier. Il n’est plus alors qu’une victime de ses instincts et inspire la compassion. À travers les amateurs d’hémoglobine, on évoque la marge, l’exclus. Au 21ème siècle, ils ont tendance à passer d’anti-héros à héros, dans cette vague d’œuvre mettant en scène un vampire détective ou bien dans la bit-lit où il sert de chevalier servant aux lycéennes en détresse. Bref, le vampire a toujours été une créature à la mode, parce qu’il se métamorphose pour suivre la mode, la créant parfois… – Morgane Caussarieu.

Poulpy : Pour commencer, comment interprèteriez-vous le thème de ce salon, Le territoire du vampire ?

Morgane Caussarieu : On peut penser que le vampire, en tant que prédateur, à son territoire pour chasser. Et puis cela implique une notion de mouvement, qu’il a bougé à travers les continents et les époques. J’ai écrit un essai qui explique en quoi le vampire, qui était dans les Carpates, a plutôt migré sur le continent américain avec Anne Rice dans les années soixante-dix, et plus précisément en Louisiane, l’état d’Amérique le plus empreint de cultures européennes.

41_caussarieuCette figure a évolué de nombreuse façon au travers de ses migrations. Nous sommes passés d’une figure folklorique à plusieurs autres représentations. Selon Morgane Caussarieu, un changement d’importance eut lieu lors de son changement de nationalité dans les années soixante-dix : « La plupart des histoires de vampires d’aujourd’hui sont américaines. En migrant avec Anne Rice, le vampire est devenu plus humain. » Est-il devenu plus violent ? « Dans les œuvres de Poppy Z. Brite oui. Dans Twilight, non. C’est variable, mais quand on regarde Dracula et Carmilla, on se rend compte qu’ils n’étaient déjà pas très sympathiques. » D’ailleurs, de nos jours, nous retrouvons des tendances du vampire romantique et beaucoup de bit-lit provenant des USA.

Poulpy : Comment vous situez-vous par rapport à cette mouvance ?

Morgane Caussarieu : J’ai écrit Dans les veines en réponse au phénomène bit-lit et plus particulièrement à Twilight parce que j’en avais marre du gentil vampire qui brille au soleil. Je voulais revenir au vampire d’origine rendant hommage à ceux d’Anne Rice ou de Poppy Z. Brite, ou à ceux que l’on voit dans des films tels Les frontières de l’aube. Je suis assez classique dans mon traitement du vampire. J’écris des histoires post-modernes en essayant de digérer ce qui a été fait avant, afin d’apporter quelque chose de nouveau tout en utilisant des éléments anciens.

Je suis critique par rapport à la bit-lit mais plus analytique quant au reste de ce milieu culturel. J’aime mettre en avant le côté malsain et mortel du vampire plus que sont côté romantique pour détourner cette mouvance adolescente. Ce n’est pas une bonne idée de tomber amoureux d’un vampire et, fatalement, ça ne se finira pas bien ! Mon retour aux sources a fait plaisir à pas mal de gens, mais je ne pense pas que mes livres constituent un tournant dans l’histoire de la littérature vampirique ! Ils résument plus une culture post-moderne.

42_pilesPoulpy : Vous dites vouloir retourner à certaines valeurs que le vampire a tendance à perdre dans sa popularité. Mais en même temps, vous ne le polissez pas lorsque vous le représentez. Vous le dénuez de romantisme et lui faite incarner des passions bestiales, c’est exact ?

Morgane Caussarieu : Le vampire est un monstre, un animal, et même plus dans ses besoins primaires. J’ai vraiment travaillé leur psychologie pour en faire des créatures très humaines, capables d’amour et de recul. Je n’ai jamais aimé cette mouvance de vampires à la The strain où ils deviennent des sortes de zombies sans âme. Je préfère nouer des relations compliquées. Je suis une grande fan de mélodrames. Je pense que c’est le meilleur genre narratif. Pour l’utiliser, il faut des personnages complexes.

Je ne pense pas que mes histoires sont incroyables au niveau du scénario. Leur force se situe dans les personnages. C’est un parti pris que j’essaie de reproduire dans chaque roman. Des fois, il m’arrive de vouloir situer une œuvre dans un pays que j’ai traversé où d’être inspirée par les paysages défilant en train.

Poulpy : Si les vampires sont des réceptacles de désirs, vous sentez-vous attirée par ces monstres ?

Morgane Caussarieu : Adolescente, je fantasmais totalement. Je n’en avais rien à battre de mes camarades de classe, c’était Lestat, Spike. Et ça m’a passé en grandissant ! Pourtant quelque chose est resté, sur quoi j’aime travailler. Ce que j’aimais c’était ce côté prédateur dangereux inatteignable. L’attrait du bad boy, c’est du masochisme d’aimer ce genre de créatures et pas quelqu’un de plus protecteur et sympa.

43_strainPoulpy : On ne voit pas ça dans vos livres comme dans des fictions où cet attrait est mis en avant.

Morgane Caussarieu : Dans les veines est remplit de ces archétypes tellement bad boys que la relation n’est même pas possible. Il était important de désenchanter cette vision romantique. C’est limite un peu moralisateur.

Ce qui ressort souvent de mes livres, et plus particulièrement de mes personnages, c’est le traumatisme de l’enfance, des souvenirs qui transforment et font devenir méchants. Personne n’est méchant par essence. Chacun à son vécu. J’aime bien traumatiser mon lecteur et transmettre ma fascination pour le mythe avec cet acte de la prédation et du malsain. J’aime aussi parler de ma culture gothique.

Poulpy : Lier le vampire et le courant post-punk ou d’autres dérivés du gothique est tout à fait logique. Comment, à partir de cela, vous y êtes-vous prise afin de concevoir vos deux romans et quelques nouvelles que nous avons pu lire dans plusieurs anthologies ?

Morgane Caussarieu : Il me paraissait tout à fait logique de parler de l’univers dans lequel j’évolue. Dans les années quatre-vingt, ce mixage s’est fait automatiquement avec des films comme Les prédateurs s’ouvrant sur un thème de Bauhaus ou Lost Boy, reprenant les codes du post-punk. Le vampire est vu comme un marginal. C’est une métaphore de ses gens vivants en dehors de la société, souvent pour les condamner, parce que ces films sont souvent moralisateurs.

44_bitlitPoulpy : Plus que le vampire, qui n’est pas présent dans toutes vos œuvres, diriez-vous que les thèmes de la transgression, du désir, des pulsions, soient inhérents à vos fictions ? Où voyez-vous poindre d’autres thématiques ?

Morgane Caussarieu : Ce sont des thèmes récurrents. J’aime briser les tabous et écrire des choses provocantes ! Ça me fait rire.

Morgane Caussarieu est rarement présente dans les évènements culturels où nous avons l’habitude de nous rendre. Ce fut une rencontre passionnante que nous attendions depuis longtemps ! Qu’elle se prenne au jeu de l’interview fut un honneur pour nous, et nous espérons qu’elle sera présente dans la prochaine édition du Salon du vampire, qu’elle sembla apprécier à sa juste valeur : « Le panel de ce salon est assez complet. Je connais un tas d’auteur dans le domaine du vampire et j’ai l’impression qu’on est tous réunis ici de manière semblable, c’est plutôt bien fait. Il manque peut-être quelques essayistes dans le cinéma, et moi j’ai trouvé l’ambiance très sympa ! » À la prochaine, donc !

David Khara, un nom à jamais lié avec Le projet Bleiberg et avec La Ligue de l’imaginaire, un collectif d’écrivains français au centre de prestigieux projets. Le projet qui nous intéresse, nous, est intitulé Les vestiges de l’aube, adapté tout récemment en bande dessinée par le scénariste Serge Le Tendre et le dessinateur Frédéric Peynet. Les vestiges de l’aube est un polar fantastique en trois volumes comptant les aventures d’un duo de détectives constitué par un policier et un vampire. Ces deux amis survivent dans un univers pessimiste, sombre et immoral, dans la pure tradition new-yorkaise où, cependant, le surnaturel se mélange et se teinte de noir. David Khara a été tour à tour journaliste, chargé de com, puis écrivain, en passant par la case rôliste.

45_projectionsLes vestiges de l’Aube lui a permis de retranscrire sa vision de l’âme humaine, « de sa noirceur, de la capacité à la grandeur, de cet enchevêtrement finalement fragile qui nous amène à faire le bien ou le mal autour de nous, sans en être toujours conscients ». C’est une critique du conflit, des rapports humains, fortement ancrée dans l’actualité avec ses guerres, ses attentats, ses montées de violences, qui pourrait apporter une vision pacifique s’opposant à l’humanité, centrale, dans le récit.

David S. Khara en interview !

Au-delà du revenant, le vampire est le parangon des éléments fondateurs d’un être humain. Il symbolise l’Eros et le Thanatos. L’influence de la littérature poétique est passée par là. La part d’humanité a supplanté le simple monstre. Aujourd’hui, il illustre le besoin absolu d’amour et la capacité à dispenser la mort pour assurer sa propre survie, tout en sublimant les capacités physiques de l’humain. Il est désormais ancré dans l’inconscient collectif. Je ne le vois pas en sortir à un moment quelconque. Au pire, sa capacité à la métamorphose lui permettra de rebondir sous d’autres formes littéraires et cinématographiques. Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des vampires. C’est un des propos des Vestiges de l’Aube. – David S. Khara sur vampirisme.com.

Nous, nous nous demandions si les Vestiges de l’aube ne transmettraient pas une vision humaniste du monde. J’ai commencé par poser une question très généraliste, mais qui me semblait importante en premier lieu. Tout d’abord, quelles thématiques vous semblent inhérentes à vos écrits ? Cela semble tenir en un mot :

46_davidDavid Khara : Le propos permanent dans tous mes bouquins, c’est l’espoir. Jean d’Ormesson disait qu’il était un écrivain de la gaité. C’est une ambition magnifique. J’essaie d’être un écrivain de l’espoir. Notre époque, le monde réel, est suffisamment sombre pour faire en sorte que même dans les thrillers, le message final soit à la fois humaniste et permette au lecteur de terminer le roman sur un sourire plutôt que sur une impression de malêtre. J’évolue dans le cadre d’un thriller vampirique où la figure allégorique du vampire me permet de parler de la reconstruction après le veuvage.

Poulpy : Vos livres sont très sombres.

David Khara : Mais c’est justement quand tout va mal que l’espoir est important. Pas quand tout va bien ! Dans un couple, s’aimer quand tout va bien s’est très simple. S’aimer quand ça ne va pas est plus compliqué. Je place systématiquement mes intrigues au cœur d’une histoire réelle. Souvent une histoire très cruelle de l’humanité. La guerre de Sécession et le onze septembre dans le cadre des Vestiges, dans le cadre de La trilogie des projets, la Seconde Guerre mondiale avec la déportation, l’industrialisation de la mort. Je me base sur des témoignages afin de trouver des raisons d’espérer au milieu de ce chaos. Dans mes livres il y a beaucoup de morts et ça ne se finit pas bien pour tout le monde, comme dans la réalité.

Poulpy : Vous placer donc le cadre au centre de l’intrigue, plutôt que de vous focaliser sur les personnages ?

David Khara : L’intrigue est là pour servir le propos. De là vient la complication. Ce que je raconte est un écran de fumée pour dissimuler la véritable histoire. On pourrait cataloguer Les vestiges de l’aube comme étant un roman vampirique et un roman policier. Mais en fait, cela ne parle pas de ça. Il y a certes un vampire et un policier… Trois personnages sont confrontés au même drame. L’un d’entre eux perd sa femme et sa fille durant les attentats du onze septembre. L’un perd sa femme et leur enfant à naître durant la guerre de Sécession. L’un perd sa fille qui s’est fait violer et tuer de nos jours.

47_kharaCes trois hommes vont réagir de trois manières différentes. Je ne dis pas quelle est la bonne. Chacune a ses conséquences. J’essaie de les présenter de la manière la plus naturelle et la plus humaine possible. La plus réelle possible. Ça, ça se cache au milieu de pouvoirs vampiriques, d’enquêtes policières avec une énigme à résoudre. Ce n’est que de l’habillage. On retrouve ce procédé très souvent en littérature. Mes maîtres sont des classiques. Mon livre de chevet c’est Hamlet. Bizarrement, dans Hamlet, s’il n’y a pas le fantôme du roi qui parle au début, il n’y a pas de pièce. En même temps, ce n’est pas une œuvre catégorisée comme fantastique. Je ne me prends pas pour Shakespeare, mais j’ai utilisé le même procédé !

Poulpy : Du coup, le vampire n’est pas à voir comme un vampire (to be or not to be… a vampire !) ?

David Khara : Le vampire est à voir comme l’expression d’Éros et Thanatos, qui sont les deux aspirations principales de l’être humain. C’est ce qu’il est d’une manière générale, et c’est ce qui me plait dans cette figure. Le vampire est en rapport avec le pouvoir. Il représente l’aristocratie du monstre. Mon personnage était un homme de pouvoir de son vivant. Il n’est pas illogique qu’en accédant au statut de mort-vivant, sans qu’il sache pourquoi, il accède à ce statut supérieur. Le vampire véhicule tout un tas de phantasmes et de souvenirs cinématographiques et littéraires. J’ai été nourri à cela durant ma jeunesse. Avec de gros nanars en plus !

Poulpy : Le vampire, dans vos livres où nous trouvons une grande part de relationnel, c’est l’Inconnu, c’est l’autre hors de notre portée ?

48_poursuiteDavid Khara : Je vais même aller plus loin en disant qu’être un vampire, c’est un handicap. Pour Verner, c’est d’autant plus vrai, car ça le rend dangereux vis-à-vis des autres, ça l’isole… On traite souvent le vampire de gros méchant ou de tout gentil, mais on rencontre très rarement le cas où être un vampire, c’est chiant. On ne peut pas communiquer, le mien adorait chevaucher au lever du jour… C’est fini tout ça ! Voir un lever de soleil, c’est terminé ! C’est bizarrement le moment de la journée que je préfère, à titre personnel. Il n’y a rien de plus touchant. Alors, me dire qu’on m’en priverait… Mais je me fou d’avoir des pouvoirs !

Être un vampire rend mon personnage très humain. Il y a effectivement cette part d’inconnu qui fascine, il n’y a qu’à voir le volume de public féminin circulant autour de vampires masculins pour réaliser son pouvoir d’attraction ! Il y a un goût d’interdit, le rapport à la morsure et au sang… Verner est un monstre très sensuel.

Poulpy : Le goût du mystère se retrouve de toute façon dans le thriller !

David Khara : C’est le suspense. Je préfèrerais qu’on catégorise les livres ainsi et que dans la rubrique suspense on place de la SF, de la fantasy, du réaliste, etc. Le type d’histoire que je raconte, et que d’autres racontent, est basé là-dessus. Après, là où le mystère est particulier, c’est que le vampire ne sait pas ce qu’il est. Verner ne sait pas pourquoi il a ses pouvoirs. Il ne comprend pas trop comment ça marche… Il va le découvrir dans le tome deux.

Je m’y amuse à inverser le mythe du vampire en ne les plaçant pas dans une aristocratie, mais en disant que ce sont les esclaves de créatures plus puissantes qui, normalement, n’ont pas de conscience. Lui se situe dans une espèce d’entre-deux. Il s’interroge donc sur son humanité qu’il tente de retrouver. Mais en même temps, ça veux dire quoi être humain ?

49_donjPoulpy : C’est un thème que nous trouvons à la fois dans les contes, dans le fantastique et dans la science-fiction avec différentes figures.

David Khara : Parce que tous les genres parlent de la même chose. Je ne connais pas un roman de science-fiction qui parle de science-fiction. Et je ne connais pas un roman de fantasy qui parle de fantasy. Si on croit que The lord of the rings c’est l’histoire de la guerre entre les orcs et les elfes ont se trompe. C’est plus complexe et transposable à nos propres vies : le cas d’Aragorn est lié avec le problème de l’héritage, le cas de Sam c’est la quête initiatique ou il passe de grand benêt au rôle de sage. Gollum, par son appétence, va être l’artisan de sa destruction.

Le reste est un cadre. Comme Terry Pratchett le disait, la science-fiction, c’est de la fantasy avec des boulons. C’est parfaitement résumé. Tous les écrivains parlent de l’être humain. Le contexte crée des situations qui vont amener l’humain à se révéler. Voilà pourquoi je ne crois pas aux genres.

Poulpy : Du coup, ça n’a pas été un problème pour vous de placer du surnaturel dans un thriller ! Ça n’a pas non plus été un problème pour votre lectorat ?

David Khara : Non parce que j’ai commencé par cette série sans réaliser que les genres étaient aussi segmentés en France. J’ai une culture anglo-saxonne, et là-bas cette notion est beaucoup moins marquée. Heureusement. C’est ce qui permet à quelqu’un comme Stephen King d’avoir exploré plein de types d’histoires, de la plus réaliste à Christine et The Stand. Je fais ce que je veux ! C’est ça qui est extraordinaire. Je ne me préoccupe pas des ventes, seulement du public dans le plaisir de lire. Qu’on adhère ou pas à mes histoires, ça ne me fait rien. C’est la loi du genre. Après, le jour où on me supplie d’arrêter, j’arrêterais.

50_plateauxPoulpy : Ce qui veut dire que lorsqu’on dit que Les vestiges de l’aube s’inscrivent dans la pure tradition du polar new-yorkais, vous ne le pensez pas en ces termes.

David Khara : Dans la mesure où je lis peu de polars, je ne pourrais pas vraiment répondre. Je découvre des auteurs en ce moment, qui sont aussi des copains. Le seul écrivain que je lis réellement est Denis Lehan. Ce que je trouve formidable dans ses romans, c’est le fait qu’ils mettent en valeur l’humain au travers de personnages placés dans des situations cornéliennes. Il n’y a plus de bonnes solutions. Cette notion de machine infernale est formidable. Mystic River est une folie. Un drame absolu.

Je ne saurais dire ce qu’est le polar new-yorkais ! Je suis parti dans ce métier avec des références très anciennes et j’ai essayé de trouver ma propre voie. J’essaie maintenant de la faire évoluer, d’améliorer l’écriture et d’aller plus loin dans mes thématiques, dans l’humain. Il y a beaucoup de questions que je n’intellectualise pas. Je ne sais même pas ce que je pourrais représenter aujourd’hui. Ça m’est égal.

J’ai commencé à écrire pour une ou deux personnes. J’ai écrit Les vestiges de l’aube pour un ami qui a perdu sa femme et sa fille dans un accident. Ça n’aurait jamais de l’être publié. C’est sorti huit ans après parce qu’il a refait sa vie. Je ne l’aurais pas proposé s’il était toujours dans la même situation. Après, je ne vais pas mentir. Je suis très content que ça marche ! C’est devenu mon métier, ça me permet de faire un tas de rencontres.

Poulpy : En parlant de rencontres, qu’est-ce que vous pensez du Salon du vampire ?

51_roleDavid Khara : Je n’avais pas fait de salon depuis très longtemps ! J’y ai pris énormément de plaisir. Ça fait plus d’un an que je limite mes apparitions publiques. J’ai passé de bons moments. Adrien Party a été le premier à faire une chronique des Vestiges, il y a six ans de cela ! Je suis rentré en contact avec lui parce qu’il suggérait des améliorations, comme c’était mon premier roman… J’avais envie de savoir, selon sa grande expérience, ce qui pouvait être améliorable et il a joué le jeu avec beaucoup de gentillesse. Ses conseils m’ont servi et nous avons noué une amitié. Honnêtement, j’aimerais revenir pour la prochaine édition. Il y a chez le fan de vampire quelque chose de très romanesque qui me parle.

Poulpy : Que pensez-vous du thème du salon, Le territoire du vampire, et de la façon dont cela est abordé par l’organisation et les exposants ?

David Khara : C’est très généraliste et je suis tout sauf un spécialiste ! Je le découvre en même temps dans ce salon où il y en a pour tout les genres et tous les goûts. Et où tout le monde est passionné. C’est de cela qu’on a le plus besoin.

Poulpy : Votre vision de ces créatures pourrait-elle, selon vous, éclairer la fiction vampirique sous un autre jour ?

Je ne m’accorderais aucun rôle. Je n’ai aucune prétention. Je sais que Les vestiges ont inspiré des auteurs. Ça a donné envie à mon idole dans la bande dessinée, Serge Le Tendre, d’adapter le roman. En finissant La quête de l’oiseau du temps il y a une trentaine d’années, j’ai eu envie d’écrire. Le hasard a fait que nous nous sommes rencontrés à Rennes et que nous sommes devenus amis. Je sais que des auteurs m’ont cité et se réclament de moi. C’est extrêmement touchant, mais je ne m’accorde pas beaucoup de crédit. Je pourrais ajouter un truc personnel. Je n’ai pas d’enfants, je n’en aurais pas, et c’est ce que je vais laisser. Ça, ça peut avoir de l’importance.

52_groupePoulpy : Pour en revenir aux Vestiges de l’aube, une œuvre ancrée dans l’actualité, pensez-vous qu’elle a pris de l’importance avec les attentats, l’état d’urgence, et tous les conflits nous touchant d’autant plus aujourd’hui ?

David Khara : Je pense que, malheureusement, elle est d’actualité en effet. Je vais remonter au temps de l’écriture pour dire qu’il y a longtemps que je crains ce qui arrive. Nous l’avons senti venir. Il suffit de se pencher sur l’Histoire pour percevoir tous les stigmates. Il est d’autant plus important d’écrire sur les victimes dans ses moments très éprouvants. Le monde n’a jamais eu autant besoin de bienveillance et de solidarité.

Nous ne vivons pas une guerre de religion, ce n’est pas vrai. C’est une guerre contre la bêtise. Contre l’ignorance. C’est ce qui fait que de nombreux statuts, comme celui des femmes, sont remis en cause. Certaines formes de régressions sont très lourdes. Pas simplement dans le cadre d’un islamisme radical. Dans tous les aspects de la société. Je suis effaré qu’en 2016 nous n’ayons pas encore une automatisation de l’égalité ! C’est d’autant plus important d’écrire sur l’espoir.

Poulpy : Du coup, qu’est-ce qui peut bien déclencher, chez vous, un travail littéraire ?

David Khara : Mes recherches sur les conséquences d’évènements passés sur le monde actuel. Je suis un passionné d’Histoire. J’essaie de comprendre, et le présent, et le futur, par rapport à cela. Parce que le passé nous fournit les meilleures clefs possible. Pendant mes fouilles, ces idées de scénarios me viennent, que je développe et puis que je cible dans un domaine en particulier. À partir de là, je vais écrire. Sans autre plan. Même dans ma trilogie il n’y a aucun plan. Tout était dans ma tête. Ça se complexifie lorsqu’il y a des flash-back, des sauts dans le temps, des rapports entre les personnages qui ne sont pas ceux qu’on croit. Contenir tout ça dans mon esprit doit être une forme de maladie !

53_lerouxPoulpy : Et que pensez-vous de l’évolution de votre propre style, de vos idées ?

David Khara : Au niveau du style il y a évidemment une amélioration. C’est normal. Je ne vois pas mon métier comme étant un travail d’artiste, mais un travail d’artisan. Un menuisier va faire un meuble puis un autre jusqu’à ce qu’il obtienne le meuble parfait. Qui n’existera pas. Donc il va continuer à en faire sans jamais être content. Je trouve toujours des choses à améliorer dans mes livres. Par contre, au fur et à mesure de l’écriture, certains aspects deviennent plus fluides, au niveau des techniques.

J’adapte mon style à l’histoire, pas l’inverse. Je ne plie pas l’histoire à ma façon d’écrire. J’adapte en fonction du personnage ou du moment. Je vais donc plus loin dans le développement de mes situations. C’est ce qui me permet, dans mon tout nouveau roman, de placer de la romance. Ce que je ne m’étais jamais autorisé à faire. J’ai pu tester ce terrain. Dans mon prochain roman, il y aura même un rapport à l’érotisme. Ce sera une fiction médicale qui touchera au domaine de la greffe de peau, avec la sensualité qui va avec.

Je me met toujours en danger en m’aventurant dans un domaine où l’on ne m’attend pas ! Je garde le suspence en trame de fond parce qu’en tant que lecteur, c’est ce que j’ai envie de lire. C’est ce que j’aime. Les situations dans lesquels je place mes personnages m’obligent à travailler. Si j’arrive un jour à égaler, ou a écrire un truc à moitié aussi touchant et à moitié aussi humain, que Mistic River, j’aurais atteins mon objectif. Ce n’est pas une question de thématique, mais de traitement, qui m’a bouleversé. Si j’arrive à déclencher la sensation que j’ai lorsque je lis certains livres, comme La quête de l’oiseau du temps, avec à la fois beaucoup de tristesse, de nostalgie et beaucoup de tendresse, j’aurais atteins mon objectif. Car je cherche toujours à progresser.

54_santisDavid S. Khara s’était aventuré à nos côtés sur un vaste terrain encore partiellement vierge, que nous n’explorerons jamais assez : celui du vampire. Et pour nous parler du Territoire du vampire, il sera de nouveau invité à partager ses impressions dans une table ronde, Vampires des villes, vampires des champs, à venir dans la troisième partie de ce reportage ! Merci à lui, et merci à vous. À bientôt pour la suite. En parlant de ça, d’autres interviews n’attendent que votre attention… – Poulpy.

Richard Guérineau est à considérer comme l’un des grands dessinateurs de bande dessinée franco-belge vivant de nos jours. Il a travaillé sur de nombreuses séries considérées comme des classiques, tel Le syndrome de Hyde, L’As de pique, a illustré le volume cinq de XIII Mystery et nous lui devons les dessins de la série originale Le chant des stryges (d’autres infos sur le site de l’éditeur). Cette série est compartimentée en cinq épopées se déroulant à plusieurs époques (au moyen-âge, au Siècle des lumières, deux séries se déroulent à notre époque, une dans un futur lointain). Le chant des stryges illustré par Richard Guérineau comporte (pour le moment) 17 tomes divisées en trois saisons sur lesquelles travaille ce dessinateur depuis 1996 ! C’est une importante épopée que nous pouvons classer dans le polar fantastique, même si elle est très éloignée de l’univers des Vestiges de l’aube, que je vous décrivais naguère.

Richard Guérineau, en interview !

L’histoire Le chant des stryges, crée par Corbeyran, met en scène des créatures mythologiques hybrides, les stryges, tenant à la fois du démon ou de la harpie, du vampire ou de la goule, qui sucent le sang et ont des ailes de chauves-souries. De nombreux folklores sont abordés afin de déterminer qui sont ses extra-terrestres vivant parmi nous, formant une société secrète complexe. Sur base de conspirations et de science-fiction, Le chant des stryges rappel la fameuse série X-Files, où un duo de détective enquête sur des faits inexpliqués pour le compte d’organisations malfaisantes.

55_richardRichard Guérineau est peut-être moins connu pour un autre travail : la réalisation des couvertures des Dossiers Vampires. Une série de romans vampiriques écrite par P.N. Elrod. Nous aurons droit à de nouvelles impressions avec la table ronde Des vampires pas comme les autres. D’ailleurs… Qualifierait-il les stryges, qui lui valent sa venue au Salon du vampire, comme des vampires ?

Richard Guerineau : Non. Le mot vampire n’est cité qu’une seule fois dans la série, et on dit qu’elles sont aussi sirènes. On considère que ce sont des vampires psychiques, qui manipulent l’esprit humain, plus que des buveurs de sang.

Poulpy : Dans la table ronde Des vampires pas comme les autres (que nous vous avons retranscrit, chers lecteurs, un peu de patience) vous dites vous êtes inspiré des Grands Anciens de Lovecraft, mais il ne s’agit pas d’une référence à son psychopompe, le vampire stellaire.

Richard Guerineau : Il s’agit plus de l’idée de concevoir une civilisation précédant l’Homme qui se situerait au-delà de notre entendement. Nous les découvrons, dans l’univers de Lovecraft, à travers les yeux d’un personnage qui va en devenir fou tant cette expérience le dépasse. Quand la série démarre, le même phénomène a lieu. On découvre petit à petit ses créatures plus fortes que nous, mesurant trois mètres de haut, qui ont des ailes et semblent nous vouloir du mal, on ne sait pas trop pourquoi. Dans le premier cycle de la série, nous partons à la découverte du mystère que représente les stryges : qui sont-ils, que nous veulent-ils ?

56_guerineauPoulpy : Quand vous avez commencé ce cycle, qu’aviez-vous en tête au niveau de la représentation que vous souhaitiez donner aux créatures ?

Richard Guerineau : Au départ ce n’était pas très clair dans mon esprit. Dans les premiers croquis que j’ai pu faire, les créatures avaient un aspect plus « gargouille ». J’avais gardé le côté aile de chauve-souris. Très vite, on s’est dit qu’il ne fallait pas qu’on les identifie aussi clairement aux vampires. Ce n’était d’ailleurs pas très esthétique. À l’époque il y avait ce dessin animé qui s’appelait Gargoyles, qui n’était pas très bon, mais dont les dessins se rapprochaient de ma première version. Il a fallu retravailler. Et il m’a fallu du temps pour arriver à la forme définitive. Heureusement, on ne les voit pas dans les premiers albums. Nous les dévoilons plus tard, ce qui m’a laissé le temps de les peaufiner.

Poulpy : Vous ne souhaitiez donc pas être catalogué et entrer dans un type de littérature vampirique ?

Richard Guerineau : On ne l’a même pas réfléchi en ces termes. On ne voyait pas les stryges comme des vampires. Le seul lien était le fait qu’ils nous manipulent et nous épuisent. Visuellement, on voulait surtout éviter une esthétique traditionnelle, romantique gothique, car notre récit se déroule à l’époque actuelle, dans un environnement contemporain et urbain. On ne pouvait pas mettre Dracula dans un univers de thriller à l’américaine !

Poulpy : Nous allons tout de même parler vampire. Quelle est votre définition du vampire ? Votre interprétation de son territoire qui en découlerait ?

57_strygesRichard Guerineau : J’ai une vision très classique du vampire. Pour moi, c’est Dracula parce que Stoker a érigé cette figure en tant qu’archétype. Au-delà de ça, c’est la question de l’immortalité qui me fascine le plus dans la figure du vampire, car elle recouvre tout le reste. Quand on est immortel, au début on se sent surpuissant (en plus le vampire a des facultés décuplées) et on a envie d’en profiter. On se sent comme un enfant qui pense que le monde lui appartient et qu’il peut faire ce qu’il veut. Qui ne supporte pas qu’on lui dise non. Et petit à petit, quand on a eu tout ce qu’on pouvait désirer et qu’au final on a plus de désirs, qu’est-ce qui se passe ? On passe par une phase de dépression, une phase où on veut mourir, retrouver la mortalité, et puis, pour passer au-delà de ça, il faut sans arrêt se trouver un nouvel objectif. C’est ça le drame du vampire.

Poulpy : C’est aussi le drame de notre civilisation.

Richard Guerineau : Ça pourrait avoir un rapport avec notre société de surconsommation ! On pourrait trouver des parallèles avec l’occident qui, à force de solliciter et de combler des désirs auxquels nous n’avions même pas pensé, finit par nous abrutir complètement. Ça ressemble à ça.

Poulpy : Et par rapport aux questions de territorialité vampirique abordées sur le salon, qu’auriez-vous en tête ?

Richard Guerineau : C’est la première fois que je me rends à un salon aussi spécialisé. Je suis là en observateur de ce petit milieu où tout le monde se connait. Mais je me sens extérieur à ce monde, malgré les passerelles que nous pouvons y faire. Ce public m’étonne et m’amuse, je découvre un nouveau territoire !

58_recapPoulpy : Même si vous pensez que les stryges sont étrangères à ce monde, le fait que vous soyez là prouve qu’elles y ont leur place. Que pourraient-elles apporter à la fiction vampirique ?

Richard Guerineau : Je ne me suis jamais posé la question. Je ne sais pas si on peut raisonner comme ça, car je ne me situe pas dans l’esthétique romantique que le vampire représente et qui me sépare de son territoire. On ajoute peut-être aux différents mythes traditionnels ce phénomène de généralisation à l’humanité entière. Là où le vampire à une action ciblée et ponctuelle sur quelques individus, les stryges ont dans l’idée que le destin de l’humanité est intrinsèquement lié au leur.

Le vampire est individualiste et n’agit que dans son propre intérêt de manière égoïste. L’histoire de l’Homme il s’en contrefiche. Il l’a traverse, voir même, il la méprise et ne nous considère que comme de la nourriture. Les stryges sont des êtres collectifs qui agissent dans un grand dessin, dans lequel l’Homme à son rôle. Ils sont étroitement liés à notre Histoire. Ils obéissent eux-mêmes à ce qu’ils appellent « l’ordre des choses », qui est si transcendant que cela les dépasse, mais ils écrivent le destin de l’humanité. S’ils venaient à disparaître, nous sommes sensés le faire aussi. Du moins, c’est une question que nous posons dans l’histoire.

Poulpy : Vous avez fait évoluer les folklores de manière générale, les mythes se reportant parfois dans Le chant de stryges

Richard Guerineau : Nous nous sommes inspirés de tout un tas de mythologies. Celle des vampires, de Lovecraft, la mythologie grecque et ses sirènes, tous ces dieux oiseaux comme Thot… Nous retrouvons des créatures ailées ou ayant trait aux oiseaux dans toutes les cultures, et elles ont toutes cette fonction de messager. Nous avons mélangé tout ça !

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Poulpy : Ces figures mythologiques, une fois transposées dans un climat actuel, que révèlent-elles par rapport à notre civilisation et à nos rapports avec le surnaturel ?

Richard Guerineau : Comme dans tous les films et romans de ce type, ça commence par révéler une incrédulité par rapport au surnaturel qu’on dénie. C’est de la fiction ! Surtout si on extrapole la question des genres en France. En France, on n’aime pas le fantastique. Qu’il soit littéraire, du domaine de la BD, du cinéma… Heureusement, il y a des niches, un public, mais certaines périodes sont plus difficiles que d’autres. Quand on a démarré les stryges, les éditeurs n’étaient pas très branchés sur le surnaturel. Puis il y a un petit engouement pour un fantastique contemporain. Bien sûr je ne parle pas de l’héroïque fantasy qui a sont propre background.

Pour en revenir à la question, je pense que ce que les stryges expriment, et sans que nous l’ayons verbalisé dès le début, tient en plusieurs choses. Chaque saison colle avec l’esprit du temps de sa réalisation. La première saison, on l’a commencée à la fin des années quatre-vint-dix et on l’a terminée au début du siècle. Cette période correspond à X-Files, au temps où les Américains n’avaient plus d’ennemis car le bloc de l’Est était tombé. Toutes leurs fictions étaient empreintes d’une paranoïa générée contre le gouvernement et des sociétés occultes. L’ennemi était à l’intérieur. Nous avons repris cette idée que les monstres étaient parmi nous.

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La seconde saison débute en 2001-2002. Une grande rupture historique a lieu avec le onze septembre. L’Amérique a un nouvel ennemi, clairement désigné, et on fait la guerre en Irak. On change d’époque au niveau de la société. D’un coup, sans le vouloir, nos stryges sont nommées. On révèle un génie du mal, un méchant très mystérieux, et c’est sur ses traces qu’on part. La troisième saison, c’est la fin d’un monde. On arrive à saturation de ce fonctionnement entre les stryges et la société humaine qui capote. C’est un reflet métaphorique de la société, sans prétention.

Poulpy : À vous entendre, les stryges sont les effets de la paranoïa plus que de la conspiration.

Richard Guerineau : C’est ce qu’on pense dans la première saison avant de nous rendre compte que ce n’est pas si simple que ça. Les stryges ne nous veulent peut-être pas de mal, au fond. Il y a une forme d’ambiguïté, de dualité, qui remet tout en question. Cela créer de nouveaux enjeux. Peut-être ne faut-il pas chercher à les éradiquer, mais à les protéger.

Poulpy : Comment définiriez-vous notre curiosité à propos des pseudo-sciences, des obscurités de notre histoire se prêtant à l’interprétation ?

Richard Guerineau : Je ne suis pas un croyant. Je considère que là où commence la croyance commence une forme de non-réflexion. Et cela vaut pour quoi que ce soit. La religion, par exemple, va m’intéresser en tant que sujet d’étude, mais je suis réfractaire. Même chose pour tout ce qui est pseudo-sciences et pour tout ce qui est occulte. Ça peut me fasciner. Je pense que c’est du même ordre que notre curiosité pour les origines de la Terre. Tout cela a attrait au mystère. Y’a-t-il une vérité ? On aimerait, mais on sait qu’il n’y en a pas, ou qu’il y en a plein. On aimerait que ça nous tombe dessus tout cru où qu’on ressente le frisson de l’inconnu ! On aimerait mettre le doigt dans un énorme mystère et que notre savoir nous revienne dans la figure.

61_pieuxPoulpy : Les stryges sont donc cette fourmilière qui rend fou ! Et qui cache une plus grosse termitière…

Richard Guerineau : Probablement. L’esprit humain est-il apte à percevoir cette vérité sans sombrer dans la mort ? Je pense que nous sommes limités.

Poulpy : Ça ne doit pas être facile à illustrer ! D’ailleurs, vos illustrations ont fait l’objet nombreuses interprétations. Mais vous, comment décririez-vous ce qui s’en dégage, l’atmosphère de vos livres ?

Richard Guerineau : Comment traduire cela avec des mots ? Nous avions coutume de nous dire que nous étions dans un univers contemporain, américain, moderne, et pourtant alternatif. Cela simplifiait les choses. Vouloir refaire l’histoire du monde est un peu prétentieux. En s’inscrivant dans une réalité assez semblable à la nôtre, qui l’évoque, mais qu’on peut simplifier à notre sauce, arrangent bien nos problèmes de scénariste ! Si on veut faire référence à notre époque, on peut passer par la métaphore et le rappel.

Poulpy : On en parle comme d’un polar fantastique, mais en regardant vos illustrations, on peut facilement se dire qu’il s’agit de science-fiction mêlant des extra-terrestres.

62_coffretRichard Guerineau : Je dirais plutôt que c’est un thriller fantastique, car on a mélangé ses deux genres. Beaucoup de gens parlent de science-fiction pour les stryges. Comme pour le vampire, j’en ai peut-être une vision trop traditionnelle pour penser ainsi. D’une part, nous ne faisons pas d’anticipation. Le présent est daté. Ce qui peut évoquer la SF, c’est l’aspect technologique, mais on en est loin dans l’esprit ! On a d’abord mis en avant l’aspect thriller. Ça commence avec un complot, des attentats, un agent du FBI, une tueuse… Les gens nous ont d’abord dit que ça leur rappelait XIII. Le fantastique s’immisce petit à petit, et là les gens ont commencé à voir les références à Lovecraft et à toute cette littérature.

Poulpy : C’est amusant de voir que vous faites référence à des choses issues d’un lointain passé tout en étant à la pointe de l’actualité ! Surtout en ce qui concerne vos techniques de travail. N’est-ce pas difficile à concilier ?

Richard Guerineau : Une évolution s’est faite naturellement et presque malgré nous. On suit les évolutions de la société, dans notre métier aussi. Moi, je n’ai jamais eu de problème avec ça, car on n’utilise pas nos outils de la même manière quand on évoque le passé et le présent. Il existe bien des façons de faire. J’ai toujours eu la sensation d’avoir le cul entre deux ou trois courants artistiques. Du coup, je les concilie. Que ce soit pour le contenu où on est entre deux genres (voir plus), ou graphiquement. Mes références ont trait à la culture franco-belge. Je trimballe un gros héritage du réalisme à la Giraud (Mœdius), Hugo Pratt et tous ses classiques. Dans les stryges, comme c’est un univers américain, je me sens influencé par certains comics. Et même par des manga.

Poulpy : On peut donc dire que les stryges sont hybrides !

63_kitsRichard Guerineau : Tout à fait. J’aime y amener plusieurs choses. J’ai fait des études d’art plastique, d’art contemporain, mon métier aujourd’hui c’est de faire de la bande dessinée, mais en même temps je ne regrette pas mon parcours parce que ça m’a amené d’autres choses. Le métissage est important. Dans l’absolu, j’aimerais arriver à travailler tout les genres dans le domaine de la BD, car je n’ai pas d’a priori. À côté des stryges, qui ont occupés beaucoup de mon temps, je fais de nombreux one shot : un western, un péplum, là je fais de la bande dessinée historique. Pourquoi ne pas plancher, un jour sur quelque chose de gotique, d’érotique ? Pourquoi pas sur du vampire !

On voudrait tous réaliser quelque chose qui soit considéré comme un chef d’œuvre. Quelque chose de marquant. Moi, s’il y a un truc que j’aimerais faire, car j’ai eu cette expérience en lisant de la BD étant gamin, c’est concevoir une image traumatique. Quelque chose de marquant soit au travers d’un dessin incroyablement vivant, soit parce qu’une émotion que nous n’avons jamais vue transperce le dessin. Certaines images se sont imprimées dans mon cerveau. En tant qu’auteur, si j’arrivais à faire, dans ma carrière, ne serait-ce qu’une seule image qui arrive à marquer les esprits, j’aurais réalisé mon obsession.

Pascal Croci, en interview !

Pascal Croci, réalisateur de la BD Auschwitz et Cesium 137, est également dessinateur. Même si ce n’est pas son style qui le rapproche de Richard Guérineau, mais la thématique de plusieurs séries sur lesquelles il a travaillé, à savoir, les vampires. Vous avez surement entendu parler des bandes dessinées Dracula crées par Françoise-Sylvie Pauly. L’une nous parle des origines de Vlad Tepes, l’autre du rapport avec l’œuvre de Bram Stoker. Toujours en partenariat avec sa femme, Pascal Croci a réalisé un recueil intitulé À la recherche de Dracula et des albums gothiques contant les tragédies de jeunes femmes passionnées, belles, ayant subi d’horribles exécutions. Elizabeth Bàthory, la Dame sanglante, est une comtesse hongroise étant soupçonnée de s’être baignée dans le sang de jeunes vierges afin de préserver sa jeunesse à la manière des vampires.

64_pascalSeul, Pascal Croci a conçu une adaptation en roman graphique de Camilla, que nous savons empreint d’un romantisme noir sublimé à la perfection par son trait. Tout récemment, nous pouvons voir ses illustrations dans La bible des vampires des Brasey. Voici un extrait de son interview sur vampirisme.com. Pascal Croci ne résume pas le mythe du vampire à un rapport entre sang et érotisme, deux éléments centraux, mais se sent attiré par l’éternité de la « chose » : Vivre dans un château, avec une bibliothèque où tu peux tout lire, parce que tu es éternel. Ça a plus un rapport avec le spirituel qu’avec le charnel. Dans le monde gothique, je pense que c’est plus le rapport avec la mort qui attire. Comme l’humour, leur immortalité est donc une soupape à la mort.

Poulpy : Qu’est-ce qui vous a semblé nécessaire de concevoir afin de transmettre votre interprétation de classiques tels Dracula ou Carmilla, ou votre vision de certains mythes ?

Pascal Croci : L’origine de Dracula m’est d’abord venue en regardant un film, La marque du vampire. J’ai ensuite rencontré ma libraire pour lui en parler et elle m’a proposé de lire Dracula. Depuis, je suis tombé amoureux de ce livre de Bram Stoker que j’ai lu plusieurs fois, mais que je me suis toujours interdit d’adapter parce que je n’avais pas le niveau essentiel. Disons que c’était une question de technique. Si j’ai voulu progresser en dessin, c’est pour représenter les images que la lecture avait déclenchées. Réaliser Vlad Tepes avant de réaliser Dracula m’a permis de m’entrainer au niveau des textures des dessins. C’était un essai. D’ailleurs, dans un moment, je serais prêt à refaire une version de Dracula.

Ce qui me plaisait dans l’histoire de Dracula n’était pas tellement le côté canine, sang, ou le côté érotique dont je ne faisais même pas attention. J’avais douze ans lors de ma première lecture. Ce qui me plaisait était le côté éternel du personnage. C’est vrai que nous sommes tous des mortels et qu’il me plairait d’outrepasser ce statut. Les vampires n’existent pas, on l’a bien compris, mais son attitude, nous pouvons la retrouver au cours du temps. Parfois lorsqu’on a des soucis, des problèmes, on aimerait s’abandonner aux siècles futurs, se laisser transporter par le temps à la manière des vampires. C’est une philosophie. On se dit tout le temps qu’on a des siècles pour réaliser des choses. C’est une façon de se déporter de la situation humaine.

65_crociPoulpy : Vous remarquez l’aspect surnaturel et contemplatif des vampires.

Pascal Croci : Dans toutes les situations, comme dans les films, on voit surtout le personnage principal entrer dans la grande bibliothèque du château. C’est quelque chose qui me fait rêver, car je lis très peu. Ça m’endors ou alors je ne capte pas, car mon esprit s’emporte. J’ai lu Dracula en quatre jours et je suis obligé de le faire à haute voix pour enregistrer, me concentrer. C’est un peu comme si quelqu’un vous lisait.

Poulpy : J’ai ressentis Dracula ou des bandes dessinées comme Carmilla comme des livres a l’ambiance noire, sombre, et bien sûr gotique.

Pascal Croci : C’est l’inverse. Mes pages sont plutôt claires. J’aimerais arriver au système du clair-obscur, mais comme je n’ai pas la bonne technique pour le réaliser, j’ai toujours utilisé le contraire. Mes nuits sont claires, mes dessins sont l’inverse de ce que je désire.

Ce qui m’intéresse chez les vampires, c’est le côté éternel du temps. On a envie de faire plein de choses de nos vies terrestres mais elle est trop courte pour qu’on puisse tout réaliser. J’ai des projets en dessin, j’aimerais faire un film, apprendre. Être éternel me permettrait de tout faire. Beaucoup de personnes disent que c’est justement parce qu’on a une épée de Damocles au-dessus de nous qu’on réagit. Mais moi je recherche ce temps, ne pas mourir ! Il doit bien avoir une possibilité, ce n’est pas normal !

Le monde du vampire, comme le monde artistique, est comme un refuge. C’est un exutoire dans lequel on réalise tout nos phantasmes, par forcement sexuel, mais au niveau de tous nos désirs. Notre seul endroit de liberté se trouve dans notre cerveau. C’est notre cathédrale. Après on a affaire à la censure, aux tabous. Mais c’est bon de créer. Une relation affective peut déclencher ses travaux. Ou bien on va chercher dans l’enfance des livres qui nous ont plu. Il me plait, dans ces adaptations, de jouer avec les personnages comme je jouais avec des figurines.

66_carmillaPoulpy : Comment définiriez-vous notre curiosité à propos de ces croyances qui ont fait de figures tels Vlad Tepes et la Dame sanglante des légendes surnaturelles ?

Pascal Croci : Ces personnages ont réellement existé. Je pense que la comtesse Bàthory est une ancêtre de L’Oréal. Elle commence à tester les produits de beauté à l’âge de quarante ans car elle s’angoissait par rapport à la vieillesse. On dit que lorsqu’elle a donné une gifle à l’une de ses servantes, du sang a jailli sur son bras. Quand elle a voulu l’enlever, elle a vu que sa peau était beaucoup plus blanche. Elle a pensé qu’en se baignant dans du sang elle pourrait rajeunir. Pour Vlad Tepes, je pense que c’est une question de religion. Les Turques ont eu l’impression d’avoir affaire à un monstre car il empalait ses ennemis.

Pourquoi s’intéressent on à eux, nous créateurs ou public ? Je ne sais pas. Je me suis intéressé à Bàthory parce que c’est un peu l’origine du roman Carmilla. Nous connaissons deux créateurs du mythe du vampire, Stoker et Mary Shelley avec Frankenstein. L’écriture de Frankenstein vient d’un volcan qui serait entré en éruption en Indonésie un an auparavant et qui a fait en sorte qu’il ne fasse pas beau un certain soir ou trois auteurs ont débuté un concours d’écriture. Comme quoi, un vol de papillon peut tout chambouler. Ou plutôt un vol de chauves-souris.

Le mythe, je devais le représenter de manière visuelle. Et je ne savais pas comment procéder avec Dracula. Devrais-je prendre un des acteurs, comme Bela Lugosy ou Gary Oldman ? Et si je ne le représentais pas physiquement ? À chaque fois que ce personnage parlait, je montrais une gargouille, un tableau, une sculpture, ou bien son ombre. Pourtant les vampires n’ont pas d’ombre. J’ai joué avec ça de manière cinématographique, comme dans le Dracula de Copolla où l’ombre est déportée dans le temps. On ne montre pas l’attitude exacte du personnage. À travers l’ombre, on peut transmettre une impression, une transposition du mystère et des désirs. On parle toujours de l’absence de reflet dans les miroirs, mais on ne pense jamais à retirer l’ombre, car c’est difficile à faire au point de vue technique.

67_dedicacesPoulpy : Le vampire ne serait-il pas l’ombre de l’humanité, une dépersonnification de nos envies, transposée à un autre, car on craint de les exprimer ?

Pascal Croci : L’ombre évoque le doute. On a peur de notre double, de notre ombre. Quand les choses vont mal, on s’abandonne. On ne peut pas faire autrement que de canaliser les choses, de vivre à la seconde près. On peut même faire plusieurs choses dans un espace-temps limité. On communique à la vitesse de l’information. Nous sommes en train d’exploser sur le plan de la concentration, on stresse. Se déconnecter est pas mal. On revient à certaines valeurs.

Poulpy : Que voyez-vous dans le Dracula de Stoker et dans le courant de classiques que ce livre a engendré, et qui constituerait votre interprétation graphique du vampire ?

Pascal Croci : Comment ressortirais-je l’harmonie du XIXe siècle ? J’ai toujours recherché un type de littérature pouvant m’entrainer dans le même cheminement que Dracula. Comme dans la bande dessinée que je viens de réaliser où le comte Rochester reçoit la jeune Jane Eyre. J’ai occulté les moments où elle est malmenée, où elle est à l’orphelinat, pour parler de son arrivé au château où elle se trouve un peu à la place de Jonathan Harker. Si on ne disait que moi aussi je n’aurais pas le droit de repartir, je resterais avec ses personnages ! Tout le cadre respire. J’aurais aimé, par exemple, assister au tournage du Bal des vampires ou d’Entretient avec un vampire pour entrer dans le décor, qui m’intéresse autant que l’harmonie entre les humains. C’est un monde, avec ses calèches et ses cryptes, qui m’attire plus que notre époque contemporaine.

Poulpy : On peut effectivement être touché par la noblesse qui transparait de tels œuvres. Les personnages sont comme statufiés par leur statut.

Pascal Croci : On m’a déjà dit que mes personnages étaient froids. J’essaie de ne pas entrer dans le domaine du sentiment, car j’aime cette forme de retenue, leur côté austère quelque peu religieux. Même si je préfère finir vampire plutôt que prêtre !

68_lotsCertains disent que je me situe dans le romantique gotique. Chaque année je change d’univers, un peu comme si je montais dans une machine à remonter le temps. Certaines personnes arrivent à réaliser des séries sur dix ans. J’en suis incapable. J’aime basculer pour travailler sur un documentaire, comme celui sur l’anorexie que je réalise en ce moment. Il y a des similitudes avec ce monde du vampire, avec un personnage enlevé dans un centre psy et qui en ressort « mordu ». On découvre une autre personne à qui, par les neuroleptiques, on a enlevé toute angoisse, mais aussi son affectif, ses sentiments. On a l’impression de voir un mort-vivant impalpable.

Poulpy : Le thème de la mort, de l’âme ou du corps, est-il intrinsèque à vos livres où vous parlez de tragédies ?

Pascal Croci : Dans toutes les romances, la mort sublime l’histoire. Comme dans Adolphe de Benjamin Constant. On n’est pas dans un conte de fées où cela se finit bien. J’aime mettre en scène des méchants, qui ont plus de caractère que les héros, comme la reine de Blanche Neige, car elle m’a fascinée. J’ai gardé son costume pour en revêtir mes personnages.

Poulpy : Nous retrouvons, dans le mythe du vampire et dans votre travail graphique, une omniprésence de la figure féminine. Quelle est sa place dans vos travaux ?

69_tombolaPascal Croci : C’est un choix esthétique d’utiliser des personnages féminins. Une fille est beaucoup plus graphique qu’un homme. Elle est plus féline que chien pataud. Le seul personnage masculin que j’ai pu travailler, c’est Michael Jackson, qui est assez ambigu. La danse vient compléter son attitude. Je représente toujours les hommes de manière efféminée car je ne me sens pas proche de leur univers. Pour Dracula, je n’ai représenté qu’une voie off. Je ne dessine pas des femmes glamour avec des formes proéminentes comme beaucoup de dessinateurs BD. Je ne considère pas les femmes comme des objets, ni en bande dessinée, ni dans la vie. J’aime les beautés froides, et elles ne sont pas soumises, c’est sûr ! Leur froideur est une façon de se protéger.

La seule chose qui me manque, en bande dessinée, c’est de ne pas pouvoir mettre de son ou de faire des croisés de regards entre les personnages. Toutes mes images sont alignées comme dans un cinémascope. Les vues sont allongées et interchangeables au montage. Dans Le masque du démon, Mario Bava a décidé de faire son film en noir et blanc. Le choix d’utiliser ou non de la couleur est aussi très important. Il m’est arrivé d’avoir ce doute par rapport au temps et au noir et blanc lorsque je me replonge dans des époques comme les années vingt et trente.

Comme avec nos autres invités, nous avons demandés à Pascal Croci sa représentation du Territoire du vampire. « Nous avons tous des repères dans ces endroits que nous décrivons dans les livres. Quand nous parlons de territoires, nous évoquons souvent Anne Rice qui a placée ses vampires en Louisiane. J’ai trouvé ce fait étrange car, pour moi, les vampires sont dans les Carpates. On a nos propres codes. Parce qu’on a lu Dracula, on fantasme sur les montagnes. Et quand on part en Roumanie on s’imagine que nous nous trouvons dans les lieux de l’action. Qu’on se trouve au point d’origine. Les vampires de Louisiane ne m’ont pas gênés, mais certains cadres sont plus marquants que d’autres. Londres, l’Ecosse, l’Allemagne conviennent mieux aux vampires que l’Italie ou l’Espagne. Cela provient de la tradition anglo-saxonnes. » Après, il y a une question de temporalité. « J’ai du mal avec les vampires modernes vivants dans un cadre contemporain, à quelques exceptions près. Ce que j’aimerais, c’est me retrouver dans le cadre de Dracula et me promener comme Jonathan Harker dans un villages abandonné sous la neige, puis dans un cimetière. Quand je me promène sur un chemin que je ne connais pas, j’espère toujours trouver un château au bout. »

70_ailPoulpy : Lorsque vous représentez un vampire, comme une belle jeune femme telle Carmilla, qu’avez-vous en tête ?

Pascal Croci : Je ne représente surtout pas les canines. Comme ça on ne sait pas vraiment s’il s’agit de vampires. On ne fait qu’en parler. Je préfère que le vampire soit comme vous et moi, qu’il y ait une confusion. Un peu comme dans L’invasion des profanateurs de sépulture où il y a un dédoublement des personnes.

On affilie souvent les vampires avec le monde gothique. Ils sont plus gothiques au niveau de l’esprit qu’au niveau de la mode. La tendance gothique au niveau de la mode me touche moins que celles des religieux, bien plus gothiques dans leurs monastères. Ils transmettent une perversité qui m’interpelle. J’aime concevoir des architectures, des cimetières anglo-saxons desquels il se dégage toute une atmosphère. J’en reviens toujours au monde des châteaux, des cryptes où on se sent enfermés. J’aime l’esthétique du XVIIe siècle, datant d’avant la photo car cela marque le début d’un autre monde, moins harmonieux.

Ce qui m’importe dans d’autres œuvres qui n’ont pas trait aux vampires, ce n’est pas tellement de graphisme, mais le fond, l’idée, ce qu’il peut se passer dans les sociétés, comme dans mon projet actuel où je me renseigne sur les centres psy. Tous ces lieux sont en forme de prison où on ne sait pas ce qu’il s’y passe. Quand on y rentre, on se condamne. Le monde médical fait de confessions, comme en religion, est un monde froid. Comme le monde du vampire. Quant au fil conducteur liant mes œuvres, je dirais qu’il s’agit du côté fataliste de la mort.

71_pommeJeanne Faivre d’Arcier. Avec elle, une autre philosophie du vampire se forme. Grâce à sa série Opéra Macabre, elle est considérée comme « l’une des premières auteures modernes à se pencher sur le thème des bêtes à crocs post Anne Rice ». Jeanne Faivre d’Arcier rend hommage à des classiques avec sa vampireresse Carmilla, ses « clins d’œil » à des fictions, des cultures et des périodes historiques diverses qu’elle étudie afin de concevoir des livres recherchés se situant à la frontière du roman noir et de la littérature fantastique, deux styles dans lesquels elle se distingue. Sa trilogie vampirique est à découvrir sur le site Bragelonne, sa page auteur vous rédigera vers une interview.

Jeanne Faivre d’Arcier, en interview !

Poulpy : En tant que spécialiste du vampire au travers nombre de vos fictions, comment interprèteriez-vous le thème du Salon du vampire, Le territoire du vampire ?

Jeanne Faivre d’Arcier : Pour moi c’est un terme polysémique parce que nous parlons à la fois de territoires littéraires et de territoire au sens spatial. Les vampires voyagent beaucoup, dans l’espace comme dans le temps. Je joue sur l’immortalité de mes vampires et sur leurs mémoires dans des romans construits comme des clips vidéo, avec des scènes qui se passent aujourd’hui et d’autres qui se passent à différentes époques. C’est ce que j’ai fait dans Rouge flamenco, La déesse écarlate et Le dernier vampire où on voit, par exemple, mon personnage de Carmilla dans plusieurs milieux. On peut jouer sur des registres temporels afin d’avoir des fictions très éclatées et très amusantes à écrire.

72_jeanneMa vision du vampire a été inspirée par l’œuvre d’Anne Rice. J’ai bien sûr lu le Dracula de Bram Stoker, mais je n’aurais jamais pensé explorer ce territoire littéraire si je n’avais pas lu Anne Rice. Ce qui me plait dans son approche, c’est qu’elle fait du vampire un personnage positif. Un héros avec ses joies, ses peines, ses douleurs, ses chagrins. Pour moi le vampire, c’est un rebelle. Ça correspond d’ailleurs à mon tempérament. C’est quelqu’un à qui on peut faire vivre des amours extraordinaires sur le fil du rasoir. Va t-il céder à ses pulsions ? Ses relations avec les humains sont très intéressantes.

Poulpy : Votre image du vampire est donc romantique sans l’être (avec un petit r).

Jeanne Faivre d’Arcier : Mon dernier personnage, qui est le héros d’une série pour la jeunesse dont le premier tome est sorti ces jours-ci chez Milady, Le vampire de Bacalan, devient le père spirituel de deux jumeaux de quinze ans qui ont perdu leurs parents. Il va leur faire faire des voyages temporels. On imagine qu’une espèce d’amourette un peu subtile se forme entre le vampire assez terrifiant, qui apparaît masqué dans de grands manteaux noirs, et la jeune fille, Cornélia. C’est un nom qui signifie le corbeau et qui la prédestine à être un lien entre le monde des vivants et celui des morts.

Poulpy : Comment expliqueriez-vous l’attirance qu’on pourrait avoir pour les vampires ?

Jeanne Faivre d’Arcier : On a tous aspiré, et cela depuis la nuit des temps, à franchir les barrières de la mort. Je pense que ça touche tout le monde de manière plus ou moins consciente. On voit ça à travers les mythes et les recherches scientifiques nous permettant de prolonger la vie. Le vampire fascine parce qu’il est éternel et qu’il cristallise une multitude de mythes, de religions, et les fait exploser vers d’autres territoires de l’imaginaire.

73_faivredarcierPoulpy : Que deviennent vos vampires avec le temps ?

Jeanne Faivre d’Arcier : En les plaçant dans la littérature jeunesse, je les aborde différemment. Tout ce qui est scène sanglante et scènes de sexe est évacué. On ne sait pas comment mon nouveau vampire se nourrit. Mais il a un chien qui décime d’autres animaux. On ne peut pas placer de violence directe quand on s’adresse à des enfants. On doit suggérer.

Poulpy : Si vous encrez vos histoires à l’époque moderne, vous les liez toujours intensément avec des cadres passés, des périodes que vous étudiez. Pouvez-vous nous expliquer ce procédé ?

Jeanne Faivre d’Arcier : La dimension historique est importante pour moi. Ça permet de faire passer des informations sur des mythes ou des périodes précises. Je greffe des pastilles historiques, qui sont des plongées à travers le passé des personnages, qui sont des moments de leurs vies humaines, dans des moments de leurs vies éternelles, dans un cadre contemporain. Certaines scènes du Vampire de Bacalan se passent dans les années quarante, pendant la guerre. On a la fois un livre très actuel avec des héros qui se promènent dans des territoires interdits, et par l’ouverture de portes vers le passé, j’arrive au même endroit, dans les fanges de la ville, mais soixante-dix ans avant. Ce qui place les personnages dans des situations encore plus dangereuses.

Poulpy : Comment concevez-vous ces fictions vampiriques ?

74_sceneJeanne Faivre d’Arcier : Elles proviennent de réflexions sur le long terme et d’une envie d’aborder un sujet. J’ai une approche successive qui devient, à un moment, suffisamment claire pour que je commence à séquencer mon histoire, à prendre des notes. Le travail d’approche est plus ou moins long en fonction du fait que ce soit un livre pour adulte ou pour enfant. Je fais des recherches, et quand j’ai ma trame, je m’y mets.

Je ne lâche un texte que lorsque je suis sure de ne pouvoir aller plus loin dans mon propos. Cela tient à la ligne directrice. C’est pour cela que j’utilise souvent des mythes, pour avoir une pulsion, un squelette qui soit fort. Cela tient également à la qualité de l’écriture et des séquences, à la manière dont on construit le livre.

Pour plus d’informations sur les œuvres de Jeanne Faivre d’Arcier, avec tout un tas de descriptions, rendez-vous dans la troisième partie de l’article, avec notre retranscription de la table ronde intitulée Le vampire, ce globe-trotter ! Remercions chaleureusement ce dernier invité, que nous reverrons, je n’en doute pas, dans deux ans. Car le milieu serait bien fade sans ces visions des vampires au féminin et sans leurs fan(e)s. D’ailleurs, dans deux ans, nous tenterons de rattraper notre retard et de passer voir tout plein écrivain que vous pourrez voir en photos dans l’article suivant, et qu’il serait dommage de ne pas vous présenter. To be continued, donc. Et soyez patients, ça arrive ! Après tout, nombre d’entre vous ont l’éternité devant eux..

75_carrekawaiD’autres Personnalités. Sophie Jomain se spécialise dans les romans vampiriques pour jeunes adultes, concoctant des romances pour les éditions J’ai Lu ou France Loisir après des débuts parmi l’équipe de Rebelle Édition. Les initié(e)s à ce genre romantico-fantastique la connaissent grâce à Les étoiles de Noss Head, la première série New Adult française, traduite en plusieurs langues. De Sophie Jomain vous pouvez lire Felicity Atcock ou Pamphet contre un vampire. Vous pouvez lire une interview de l’auteure « représentative de la place actuelle de la figure du vampire dans la littérature » et des chroniques de ses romans en vous rendant sur sa page auteure du Lyon Beeksteak Club.

Jeanne-A Debats présentait les tomes de son cycle mettant en scène un héros vampire, Navarre, dans des histoires plus sombres (moins roses quoi). Nombres de ses œuvres ont été récompensées. Je ne peux moi-même que vous conseiller Un an dans les airs, une coproduction avec Raphaël Granier de Cassagnac et Johan Heliot, ainsi que d’autres romans et collaborations prouvant sa large culture portée vers le fantastique, mais surtout vers la science-fiction. C’est à découvrir en partie sur sa page du Salon du Vampire. Jeanne-A Debats tente et conquiert tout type de public avec un style, un panache, qui nous ferait oublier nos préjugés concernant les auteures féminines et romans à l’eau de rose dans le milieu de la littérature de l’imaginaire : les deux ne vont pas toujours de paire.

76_selfieRevenons dans la tendance « vampire romantique » avec Marika Gallman et Alice Starling, maitresses de la bit-lit qu’il me tarde, comme pour le reste de ces invitées citées ci-dessus, de vous présenter au travers d’une conférence, Vampires des villes, vampires des champs (où nous les retrouvons aux côtés de David S. Khara). Marika Gallman, présentée sur cette page, est l’auteure de Bad Moon Rising mais surtout de Maeve Regan, une série comptant cinq volumes allant de Rage de dents à Sur les dents en passant par une quantité de jeux de mots. L’humour est de mise afin de comprendre ses œuvres où une jeune adolescente tente d’enrayer une épidémie de vampires aussi lourds que sexy (si j’ai bien compris le topo). « Qui d’autre sinon l’une des pionnières de la bit-lit en langue française pour venir nous parler du cas des chasseuses du XXIe siècle ? », nous demande-t-on au Lyon Beefsteak Club. C’est aussi pour cela qu’Alice Starling était parmi nous, avec son propre humour que je n’oublierais pas ! Et, bien évidemment, sa série Requiem pour Sacha où la romance adolescente se complique pour une autre de ses fameuses chasseuses de vampires.

Nadia Coste et Valérie Simon étaient toutes deux invitées pour une rencontre ce même week-end. Nadia Coste étant aussi présente dans une première table ronde, Des vampires pas comme les autres. Son roman Le premier a connu un petit succès cette année. Pas étonnant, sachant qu’il s’agit là de la vingtième publication au compteur de notre auteure et que son thème n’a rien de commun avec le reste de la fiction vampirique : l’action se situe à la fin du néolithique ! Ce livre, elle vous le présentera dans la troisième partie de ce reportage. Voici tout de même sa page invité sur le site du Lyon Beefsteak Club. Séismes est un tout nouveau livre de Valérie Simon destiné aux jeunes adultes. Elle y raconte l’aventure d’une jeune femme, d’une petite fille, et d’un beau ténébreux dont nous imaginons la nature… Voilà pour le petit tour des auteurs. Certains autres sont présents sur nos photos, sinon rendez-vous ici pour une présentation complète de chaque stand éditeur.

77_solD’autres exposants. Nous vous les avons présentés dans le prologue, les voici à présent en photos ! AoA Prod, l’association organisatrice des plus grosses rencontres de l’imaginaire sur Lyon (les Intergalactiques, la Necronomi’con, la zombie walk, les soirées expérimentales…) ; Brain Wash Concept, avec ses kits de défense contre les vampires décrits par le professeur WP qui est aussi graphiste ; FreeLUG et sa splendide exposition LEGO sur le thème des films et séries comportant des vampires… Et ce n’est que le début des présentations, car un autre album photo vous attend dans quelques jours ! En parlant photos, c’est l’association Carré & Kawaï qu’il faut remercier pour de nombreux clichés du salon, où tout le monde avait la possibilité de poser dans le décor d’un chasseur de vampires. C’est à découvrir sur leur page FaceBook… Et un peu ci-dessus aussi.

Et n’oubliez pas de vous tenir au courant de la sortie des photos officielles sur lyonbeefsteakclub.com. Celles du partenaire ActuSF sont déjà disponibles ici, quant à leurs propres reconstitutions des tables rondes, c’est une autre histoire… à suivre L’antre du poulpe tient à exprimer toute sa reconnaissance aux organisateurs du salon et à tous les invités pour ce somptueux voyage dans le Territoire du vampire !

À bientôt (quelques jours, au plus) pour la troisième partie de ce reportage :

Conférences et tables rondes
(sans oublier les projections… sanglantes !)

PS. N’hésitez pas à me contacter, dans les commentaires (où via le formulaire de contact) si vous souhaitez récupérer les photos sur lesquelles vous apparaissez. Les photos restantes seront à découvrir dans le prochain article. – D’autres retours sur le salon du vampire avec une vidéo de Perseneige et la page FaceBook de l’association The Lyon Beefsteak Club.

Poulpy.

A propos poulpinounet

Poulpy, c'est un poulpe à tout faire. Il se doit de disperser ses tentacules sur plein de supports... Ce poulpe est graphiste (donc masochiste), il parle de lui à la troisième personne (sérieux ?), est reporter (surtout), et critique. Minimoi s’essaie donc à au dessin, à la photo, et aussi : j’écris (un peu). Mes dessins font place à des montages, les montages à des textes, des histoires, des articles... Blogueur invétéré, Poulp(inounet) ne fait pas que promouvoir la culture, il crée également ses propres œuvres, pour lui comme pour d'autres.
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