Howard Day, partie 2

The Howard Day
Au festival des Mondes de l’Imaginaire de Paris

——

          Je ne vais pas jusqu’à croire que les histoires sont inspirées par des esprits ou des puissances surnaturelles qui existent réellement (bien que je ne pense pas qu’il convienne de rejeter purement et simplement cette hypothèse) ; il m’est pourtant arrivé quelquefois de me demander s’il ne serait pas possible que des forces obscures du passé ou du présent (ou même du futur) influent sur la pensée et les actes des vivants. – R.E. Howard.

Tout ce dont vous aviez besoin de savoir avant de vous rendre au Howard Day ici.

La première partie de ce reportage
Dédiée à Patrice Louinet et Robert E. Howard, présentant les invités, c’est ici.

IV. Interviews : ce que nous aimons chez notre Texan

Christophe Thill va nous parler de la Préhistoire. Non pas l’époque dans laquelle a vécu Conan, mais l’époque qui précède les grandes parutions howardienne en France, nous dit-il. Cela commence en 1965, l’année même de sa naissance, quand Le phénix sur l’épée (Conan) paraît dans Planète. « La traduction est de Jaques Bergier, celui qui, non content d’avoir amené Lovecraft en France, a également rapatrié Howard. Il a ensuite passé la main à François Truchaud (en particulier), mais l’impulsion initiale est celle de Jaques Bergier. » Il faudra attendre 1972 pour découvrir des livres dédiés à Robert E. Howard, qui furent publiés aux Éditions spéciales (futures éditions Lattès). Il s’agissait là encore de la série des Conan. Ces débuts sont décrits dans un livre auquel participèrent Christophe Thill et Joseph Altairac : Admirations, de Jaques Bergier. La dernière publication date des années 2 000 et était à découvrir au catalogue de l’Œil du Sphinx. Mais la première publication (aux éditions Bourgois) date des années soixante-dix. « Nous y trouvons une série d’articles concernant plusieurs auteurs, dont Robert E. Howard. Il s’agit là du premier article critique d’importance dédié à l’inventeur de Conan dans le domaine français. Lovecraft, malgré son admiration, ne parle pas de R.E. Howard dans son essai Épouvante et surnaturel en littérature lors de ses dernières révisions. Il y ajoute seulement Clark Ashton Smith. Pour apprendre à connaître cet auteur, il a donc fallu passer par le tandem J. Bergier/C. Bourgois. » Dans ce livre, il est question de la vie et de la mort de Robert E. Howard, de ses écrits, de son univers, et de tout ce qui en a dérivé, ajoute Christophe Thill.

01_thillCi-dessus, Christophe Thill sur le stand des éditions Malpertuis, partenaires du poulpe.

Christophe Thill est passé par Howard P. Lovecraft pour découvrir Robert E. Howard. Il a lu les textes lovecratiens qui parurent dans Légendes du Mythe de Cthulhu. Cette anthologie comprend La pierre noire, l’une des nouvelles les plus réussies de REH. Puis il a découvert d’autres textes publiés au format poche aux éditions Fleuve Noir. S’il ne connait pas tous les cycles de REH, il a pu lire des morceaux de la correspondance qu’il entretenait avec HPL. « Le dialogue entre ces deux écrivains est presque caricatural. Howard représentant la barbarie primitive et Lovecraft la civilisation, l’érudition. Nous nous rendons compte qu’il s’agit là d’un jeu entre eux. Howard, dans son petit bled du Texas où l’activité économique se partage entre les ranchs et l’extraction du pétrole, représentait la civilisation. C’était lui l’écriture, le raffinement. Nous savons qu’il avait des connaissances historiques très pointues. La première fois qu’il contacta Lovecraft par le biais de Weird Tales, c’était au sujet de la nouvelle Les rats dans les murs, dans laquelle il y a des incantations en celtique. Howard se demandait si Lovecraft avait inclus une telle version du langage celtique pour signifier qu’il était en faveur d’une certaine hypothèse sur la présence d’un peuple celte dans une certaine période à un certain endroit… Lovecraft n’avait pas la moindre idée de ce à quoi il faisait référence, mais trouvait intéressant de pouvoir discuter avec un passionné d’Histoire. »

Christophe Thill ressent beaucoup de sympathie pour Robert E. Howard, un personnage qui a eu une vie tragique, qui est mort tristement : « Sur les photos nous voyons un Robert E. Howard très costaud. Apprendre qu’il fut ébranlé par l’échec d’une relation amoureuse, par la mort imminente de sa mère, nous touche particulièrement. » Le style percutant de REH est l’une des raisons pour laquelle il aime ses nouvelles. « Il arrive à entrainer son lecteur à travers des jungles primordiales, des civilisations anciennes… Il est convaincant. Et lorsqu’il entre dans le domaine tentaculaire lovecraftien, il apporte un côté “punchy”, énergique et aventurier que nous trouvons moins chez Lovecraft. » Howard a acquis de l’importance dans l’imaginaire collectif grâce au cinéma et aux comics. « Tout le monde se souvient de Scharzenegger en Conan et de la note d’ironie qui évite au personnage de ressembler à une brute épaisse. C’est une icône. Les livres n’ont peut-être pas le même impact que ceux de Tolkien pour les fans d’héroïc fantasy. C’est dommage. Le côté “auteur pulp de l’entre-deux-guerres” colle toujours à la peau de Robert E. Howard. Cela lui nuit peut-être… Pourtant il a sa place comme racine d’un sous-genre de la fantasy et nous ne pouvons guère éviter de nous référer à lui. »

Nous ne verrons pas paraitre un ouvrage au sujet de cet écrivain aux éditions Malpertuis, Christophe Thill souhaitant privilégier H.P. Lovecraft. « Ce qui peut m’intéresser chez Howard, en tant qu’éditeur et que lecteur, c’est son aspect lovecraftien. Une bannière qui n’est pas la sienne. Nous arrivons à caractériser l’apport spécifique de Howard dans le Mythe lovecraftien, et plus précisément le ton qu’il emploie, mais je ne pense pas que cela justifie un traitement particulier. Quant à Clark Asthon Smith, il n’a pas eu son Patrice Louinet. C’est à dire quelqu’un ayant effectué un important travail érudit. Il y aurait de quoi faire. Et j’ai entendu parler d’une intégrale de ses nouvelles qui est en préparation… (aux éditions Mnémos). » Une plus ample interview de Christophe Thill au sujet des éditions Malpertuis, de Chambers (Le roi en jaune) et de Howard Phillips Lovecraft vous attend à cette adresse.

02_nicolletCi-dessus, Jean-Michel Nicollet s’amusant avec Conan, notre petite mascotte.

Jean-Michel Nicollet va, quant à lui, nous remémorer les années NéO. Découvrant une quantité d’auteurs par le biais de son travail, il a toujours eu comme mot d’ordre de lire les livres qu’on lui proposait avant de les illustrer (découvrez-en plus dans la retranscription de sa conférence). Le pacte noir est un recueil de nouvelles qui lui a beaucoup plu. « Conan, c’est différent, parce que c’est un peu répétitif », nous avoue-t-il. « J’aime les nouvelles de Howard parce qu’elles se différencient. Il y a un renouvèlement. Une telle diversité pouvait aussi se voir chez Jean Ray. Leurs idées sont étonnantes. » Les héros récurrents finissent par gêner Jean-Michel Nicollet, qui préfère ne pas s’attendre à ce qu’il va découvrir pendant ses lectures. Pourtant Solomon Kane est un personnage qu’il apprécie pour son ambiguïté : « c‘est Cain. Il a surement tué son frère ». La nouvelle est un média qu’il favorise aux romans. « Hodgson, par exemple, a certes écrit ses histoires de marine, mais Carnacki, c’est autre chose. » JM. Nicollet a lu quelques ouvrages de Robert E. Howard avant d’en venir à illustrer des recueils, mais, à cette époque, il s’intéressait beaucoup plus aux récits lovecraftiens. « J’ai véritablement découvert Howard par NéO », nous explique-t-il.

Les couvertures de Jean-Michel Nicollet ne se ressemblent pas. « Parfois il y a un fantôme, une créature, d’autres fois c’est Conan parce qu’il n’y a rien de plus spectaculaire. Ce qui est amusant, c’est de fabriquer un personnage et de l’utiliser, même si je ne suis pas toujours convaincu à la lecture d’un livre. » Jean-Michel Nicollet a toujours conçu ses illustrations comme s’il s’agissait d’affiches. « Les affiches de cinéma non plus aucun intérêt maintenant. Mais autrefois, il fallait accrocher le chaland. J’aime qu’on prenne un livre et que l’on se questionne sur l’illustration et sur ce que l’ouvrage peut contenir. » Jean-Michel Nicollet a eu, sur le public français, le même impact que Frazetta en Amérique. Ses illustrations ont marqué une génération entière de lecteurs au même titre que les préfaces de François Truchaud. « Frazetta et moi n’avons pas le même univers. Le monde francophone possède son esprit bien à lui. J’aime beaucoup ses œuvres et apprécie le compliment ! Ce que je n’apprécie pas trop, ce sont ceux qui ont repris son style par la suite, comme cela se fait en Amérique. Quand un mec invente un truc, un ne reproduit pas la même chose ! On essaie de trouver son style. » JM. Nicollet aime les illustrations entrant directement en relation avec le texte. « Mes couvertures de Métal Hurlant ne sont pas ainsi. Ce sont des mondes que nous créons. Le livre est intéressant, car c’est un support qui nous amène à faire quelque chose qui n’est peut-être pas ce à quoi nous aurions pensé. Ça rend obligatoire une dimension particulière. » Et l’effet inverse aura lieu sur le lecteur, qui va se baser sur la couverture pour s’imaginer l’histoire. « C’est un peu fait pour ça ! Pour suggérer quelque chose. »

« Howard est un personnage intéressant avec un petit côté aventurier. Cette espèce de masse, ce type costaud qui se fait photographier en boxeur, n’est pas du tout du même acabit que Lovecraft. C’est un peu son antithèse. Lovecraft, à côté de lui, a l’air très intello. » Jean-Michel Nicollet, bien après ses années NéO, éprouve toujours du plaisir à lire des histoires épiques et fantastiques. « En vieillissant je lis des livres plus compliqués, plus philosophiques ou ésotériques. Plus on s’approche de la sortie, plus l’on réfléchit sur des tas d’autres trucs. Le stimulant rêve, c’est bien, mais il me faut aussi du concret qui amène à une certaine dimension. » Jean-Michel Nicollet a toujours lu, et s’il ne se souvient pas de tous les titres, les couvertures l’aident à se remémorer les histoires. À sa sortie des Beaux-Arts, il ne savait pas ce qu’il voulait faire, hormis de la peinture, et s’est mis à l’illustration parce que cela était lié à ses lectures. Il aime concevoir des univers « bizarre » : « plus c’est bizarre et plus ça m’intéresse », dit-il. « La banalité du quotidien me fait chier. Donc autant mettre en scène des personnages étranges et des monstres. » Robert E. Howard compte-t-il toujours parmi ses écrivains favoris ? « Je suis passé à autre chose. Ça a été une période. » Le Howard Day était une bonne expérience pour cet illustrateur, et l’occasion de revoir son vieil ami François Truchaud avec qui il a vécu tant de bons moments…

03_truchaudCi-dessus, le grand François Truchaud.

François Truchaud est l’invité d’honneur, celui à qui nous rendons hommage en ce jour (comme l’a si bien dit Patrice Louinet lors de son interview). Il n’est plus tout jeune, mais a participé à chaque conférence aux côtés de monsieur Louinet à qui, plusieurs années plus tôt, il transmit sa passion pour Robert E. Howard. En lisant l’article précédent, vous en saurez plus sur ses débuts à NéO et sur l’avènement de Robert E. Howard sur le marché français, ce que nous devons à sa plume. François Truchaud a toujours adoré la littérature de l’imaginaire. Commençant par se passionner de science-fiction durant sa jeunesse, en passant par le fantastique, il s’est toujours considéré comme un grand lecteur. Voici à présent quelques mots de cette personne chère à notre cœur au sujet du Howard Day :

« Je suis très flatté par cet événement. Je ne m’y attendais pas. C’est un grand honneur. Voir qu’il y a tant de gens qui s’intéressent toujours à Howard est formidable. J’ai connu Patrice Louinet lorsque je travaillais chez NéO. Il m’avait contacté parce qu’il était fanatique de Robert E. Howard. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois et sommes devenus amis. Quand NéO s’est arrêté, Patrice a repris le flambeau et à publié les Howard chez Bragelonne. C’est vraiment une bonne continuation. J’ai découvert Robert E. Howard lors d’un voyage à Londres. J’ai commencé par lire Conan avant de découvrir d’autres personnages. Ma passion a gonflé de plus en plus et c’est comme cela que nous sommes arrivés à publier trente-six volumes consacrés à REH chez NéO. Au départ, je pensais n’en publier que quatre ou cinq ! J’ai vécu avec Robert E. Howard pendant plus de dix ans, pendant que je traduisais ses livres. REH et moi, c’est pour la vie. Je l’ai mis sur un piédestal et il y restera toujours. Apparemment, nous retrouvons encore la même admiration pour Howard et je rencontre souvent des personnes qui connaissent et apprécies les publications des éditions NéO. La passion se perpétue. »

Pour François Truchaud, Robert E. Howard, c’est la liberté d’écrire. « La fureur d’écrire, de présenter des aventures d’un personnage et d’aller à toute allure dans l’imaginaire. Je pense qu’il savait qu’il ne vivrait pas très longtemps. Lorsque nous voyons sa production en même pas quinze ans, nous somme époustouflés par sa galerie de personnages et tout ce qu’il a inventé. » S’il n’a jamais rencontré Glenn Lord, celui par qui nous pouvons découvrir l’œuvre de R.E. Howard, il a longuement correspondu avec cette personne afin de publier des textes inédits. « Nous sommes entrés en relation et il m’a envoyé nombre de textes qui constituèrent des volumes paraissant pour la première fois en France. » Heroic fantasy n’était pas un terme connu du public français lorsque F. Truchaud publia les nouvelles de REH. « Un public impatient s’est constitué à partir de NéO. », explique-t-il, « il s’agissait en grande partie de jeunes passionnés ». François Truchaud, tout comme Jean-Pierre Dionnet, se considère tel un passeur qui sût nous faire découvrir de nombreux écrivains, dont Clark Ashton Smith, Bloch ou Masterton. François Truchaud, rencontrant Dominique de Roux, a également fait paraitre un cahier de l’Herne spécial Lovecraft. Travaillant seul pendant un an et demi, contactant des écrivains américains et français, traduisant des textes inédits, il a constitué un volume mythique.

V. Conférences : « préhistoire », BD, NéO, hommages

Ci le format ne vous convient pas, rendez-vous sur ActuSF pour découvrir des fichiers audio et vidéos de ces trois conférences : Robert E. Howard en France, la Préhistoire, Robert E. Howard en bandes dessinées et Les Années Néo, suivie de Hommage à François Truchaud.

04_prehistoireCi-dessus, Robert E. Howard en France, la préhistoire. Avec (de gauche à droite) : Christophe Thill, directeur des éditions Malterpuis ; Patrice Louinet, organisateur et spécialiste de REH, auteur du Guide Howard et des anthologies Bragelonne ; François Truchaud, traducteur et essayiste (voir l’interview précédente).

Patrice Louinet : Cette journée Howard intitulée Hommage aux Grands Anciens est dédiée à ceux qui nous ont fait découvrir Robert E. Howard sous différents médias, que ce soit par la bande dessinée où par les traductions. Nous allons explorer ce milieu français des années soixante/soixante-dix et quatre-vingts.

Il est vrai que, avec le recul, nous avons un regard différent sur ces débuts. Nous sommes actuellement en train de canoniser les auteurs que nous y avons découverts, tels Howard P. Lovecraft et Robert E. Howard, prochainement Clark Ashton Smith. Ce sont des écrivains que nous considérons comme des pionniers de leurs genres. Pourtant, il y a trente et quarante ans, le paysage français ne partageait pas cette vision. C’est grâce à des personnes dont nous allons parler qu’ils ont cette respectabilité.

Pour beaucoup, des personnes telles que François Truchaud ont façonné les passionnés que nous sommes devenus. Cette première conférence, que j’ai appelée La préhistoire (ce qui peut peut-être donner l’impression que je vieillis François Truchaud) lui est dédiée sur bien des égards. Je me trouve aujourd’hui aux côtés d’une de mes idoles en tant que fan. J’ai l’impression de retomber dans l’adolescence. Les conférences d’aujourd’hui sont donc une façon de remercier des gens tels que lui.

P.L. : François. Comment as-tu connus Howard ?

François Truchaud : Je l’ai découvert vraiment par hasard. J’étais un fanatique de Frank Frazetta. Un jour, j’achetais la série Lancer des aventures de Conan. J’ai tout de suite été emballé par la narration, la précision. En trois pages Howard arrivait à décrire le lieu, le personnage, et l’action qui allait à toute vitesse. J’ai lu toutes les aventures.

05_conanCi-dessus, Conan posant devant la boite de son jeu réalisé par l’équipe de Monolith.

Patrice Louinet : Christophe Thill est notre spécialiste du contexte français des années soixante/soixante-dix.

Christophe Thill : On me connait par rapport à mes connaissances lovecraftiennes. Lovecraft est un auteur qui a nombre de connivence avec Robert E. Howard. Ils sont indirectement en rapport sur le marché français du fait des personnes qui nous les ont fait découvrir, dont Jacques Bergier.

P. Louinet : En ce temps-là, comment le lectorat français peut-il découvrir des auteurs américains ?

C. Thill : Dans les années soixante le milieu est principalement géré par la collection Présence du futur, qui a fait paraître des auteurs classiques comme Ray Bradbury. Nous découvrons des nouvelles de Lovecraft dès les premiers volumes, où nous distinguons la patte de J. Bergier expliquant qu’il a fallu vingt-cinq années d’efforts pour faire connaître cet écrivain au public français. Hormis cela, nous trouvons des traces du travail de Bergier autour de Howard. Il traduisit lui-même une nouvelle qui paraît dans la fameuse revue Planète. C’est le magazine du réalisme fantastique qui comportait un aspect littéraire tournant autour d’écrivains non conventionnels.

P. Louinet : Il s’agit d’une édition un peu spéciale du Phénix sur l’épée puisque nous la devons à un certain Norbert Howard… Cela donne le ton. La nouvelle a été raccourcie. Jaques Bergier présente Conan comme étant un Viking blond qui vécut il y a douze ou quinze mille ans. Bergier a découvert Weird Tales en kiosque à Paris. Il faut savoir que dans les années trente et quarante nous pouvions trouver des pulps dans les librairies américaines. Il existe pas mal de photos d’époques où nous voyons des vitrines comportant ses magazines. Bergier a longtemps prétendu être un correspondant de H.P. Lovecraft, nous n’en avons aucune preuve et S.T. Joshi, le spécialiste de Lovecraft pense que ce n’est pas le cas.

C. Thill : Bergier aimait beaucoup raconter des histoires où, de préférence, il tenait un rôle. Cette histoire de correspondance est trouble. À mon avis c’est un mélange de vrai et de faux, car il n’est pas impossible qu’il envoya une ou deux lettres. Après, parler d’une dizaine d’années de correspondance… Il existe une fameuse citation de Bergier s’étonnant que Lovecraft aie décrit fidèlement Paris dans la nouvelle La musique d’Éric Zann (ce qui est loin d’être vrai). Lovecraft lui aurait répondu, de New York : « Je n’ai jamais voyagé. J’ai visité Paris, avec Poe, en rêve ». C’est trop beau pour être entièrement faux… Il est vrai que Lovecraft a visité Paris au travers des œuvres de Poe.

06_dedicace1Ci-dessus, François Truchaud et Patrice Louinet en dédicace après la conférence.

P. Louinet : Il me semble que nous pouvons voir deux lettres de Jaques Bergier dans le courrier des lecteurs de Weird Tales, ce qui a surement contribué à répandre cette histoire.

C. Thill : Il écrit pour dire qu’il est fan et pour dire que Lovecraft est le meilleur auteur de la revue. Il n’était pas le seul à le penser. La plupart des textes paraissant dans Weird Tales étaient extrêmement classiques, comportaient des monstres fatigués, mangés aux mites. Nous connaissons en particulier Seabury Quinn, un auteur qui utilisait beaucoup le folklore du fantastique, ce que Lovecraft n’aimait pas du tout. Bergier, comme beaucoup des lecteurs les plus discriminants de Weird Tales, avait repéré trois grands écrivains : Lovecraft, Smith, et Howard. La seconde lettre qu’il écrivit, ce fut juste après la mort de Lovecraft.

P.L : François, tu as connus Jacques Bergier.

François Truchaud : Par l’intermédiaire de Philippe Druillet. Nous nous sommes rendus aux éditions Planète, qui se situaient encore aux Champs Élysée. J’étais enchanté. Nous nous sommes revus assez souvent. C’était un type complètement fou, très exceptionnel.

Patrice Louinet : Lorsque tu rencontre Bergier, c’est qui pour toi ? Quelle réputation a-t-il ?

F. Truchaud : C’était l’auteur, en grande partie, de Le matin des magiciens. J’avais dévoré ce livre. Lors de nos rencontres, il n’arrêtait pas de parler, de raconter ce qu’il connaissait. Nous passions des moments fabuleux.

Patrice Louinet : Avais-tu entendu parler de Robert E. Howard à cette époque ?

F. Truchaud : J’avais lu Le phénix sur l’épée dans Planète, mais c’est tout. Même dans les recueils de Casterman, je ne me souviens pas à l’époque de l’y avoir trouvé.

P. Louinet : Casterman est le deuxième éditeur français à publier du Howard dans les anthologies dirigées, et pour la plupart traduites, par Jacques Papy. Trois/quatre livres comportant des nouvelles paraissent. Que dire de J. Papy sans être méchant…

C. Thill : Jaques Papy était reconnu comme traducteur parce qu’il était agrégé d’anglais. Il a traduit beaucoup d’auteurs anglais classiques. Et puis c’est lui qui a réalisé les grandes traductions des nouvelles de Lovecraft chez Présence du futur. Celles-ci ont été beaucoup diffusées. Il a une philosophie de la traduction qui, parait-il, n’a plus vraiment cours aujourd’hui. Cela consistait à essayer « d’améliorer » le texte de l’auteur lorsque l’on considérait qu’il était trop verbeux, lourd, et éventuellement s’il ne rentrait pas dans un format imposé par l’éditeur. Il n’était pas respectueux du texte. Mais il y a eu pire dans les traductions de Lovecraft.

07_livresCi-dessus, quelques éléments de la collection de Patrice Louinet que les fans reconnaitront…

P. Louinet : Une effervescence se produit autour de Lovecraft, bien avant Howard. Mais cela va changer en 1969, à la parution du Cahier de l’Herne dédié à H.P. Lovecraft.

F. Truchaud : Quelqu’un m’a effectivement fait remarquer que j’avais intercalé un poème de Robert E. Howard alors qu’à l’époque je n’avais pas du tout l’intention de traduire ses histoires. Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris. Pourquoi ai-je inséré un tel poème ? C’est assez bizarre…

P.L : Comment est venu à paraitre ce Cahier de l’Herne ?

F. Truchaud : Quand Dominique de Roux (qui dirigeait les Cahiers de l’Herne) rencontrait quelqu’un, il proposait toujours à son interlocuteur de concevoir un cahier sur un auteur. Les gens disaient « oui oui » et après laissaient tomber. En 1968, je suis venu le voir exprès pour cela. Et je m’y suis tenu. Un an et demi plus tard, je lui apportais mon travail, ce qui l’a épaté. C’était un gros morceau. Et puis Lovecraft, à l’époque, ce n’était pas grand-chose.

P. Louinet : En soixante-dix Lovecraft Smith et Howard commencent à devenir des auteurs envisageables en matière de publication. Quel est le contexte français de l’époque ? Qui lit Howard ? Qui lit Lovecraft ? Qui sont ces gens ? Est-ce les mêmes personnes qui vont découvrir Tolkien deux ans plus tard, ou cela était-il réservé aux gens un peu bizarres, aux geeks ?

F. Truchaud : Lovecraft a beaucoup d’admirateurs. Les lecteurs assidus d’Howard et de Smith se sont déclarés bien après, pendant les années NéO.

P. Louinet : Deux/trois ans plus tard, nous arrivons en 1972. C’est là que, pour la première fois, Conan est publié en France aux Éditions Spéciales (chez Jean-Claude Lattès). Trois volumes paraissent. François Truchaud en traduisit deux. Le premier a été confié à une certaine Anne Zribi, dont je n’ai jamais retrouvé la moindre trace. Il s’agissait de la traduction des volumes Lancer, avec les couvertures de Frazetta et, en France, celles de Druillet. François, peux-tu nous parler de la naissance de cette collection, puisque tu en es à l’origine ? Comment en es-tu venu à demander à traduire ces livres ? Et pourquoi cette collection s’est-elle arrêtée assez rapidement ?

08_WTCi-dessus, trois rarissimes Weird Tales appartenant également à P. Louinet.

F. Truchaud : J’ai contacté les éditions Lattès lorsque j’ai su qu’ils voulaient traduire les Conan. Ils m’ont demandé de faire un essai, qui a été accepté, puis j’ai traduit un second volume. Je ne sais pas pourquoi tout s’est arrêté, ni même si ça a marché, et je ne sais pas combien de temps ont duré les Éditions Spéciales, pour qui j’ai également traduit Les nouveaux centurions de Joseph Wambaugh et Les vierges de Satan de Dennis Wheatley. Les Conan sont ressortis des années plus tard sous la direction de Marianne Leconte quand ses éditions se sont appelées Lattès. Ils ont été réédités en huit volumes.

P. Louinet : 72-75, c’est le début de la période Métal Hurlant. Nous y voyons Druillet, qui fait ces délires sur Lovecraft… Mais Howard est toujours un parfait inconnu. Ou presque.

C. Thill : Avant cela je vais faire un petit retour dans le temps, dans les années soixante-dix, non pas pour parler des publications de fictions de Howard mais pour parler de critiques. En 1970 sort Admirations de Jaques Bergier, où il parle d’auteurs peu connus, mais qui mériteraient d’être découverts, tels Abraham Merrit et Robert E. Howard. Sa critique, même s’il y aurait de petites remarques à faire, comporte un récit de la vie de Howard, une analyse de son univers, de ses thèmes, et de ses différents écrits. Nous devinons que si Bergier a envie d’en parler, c’est qu’il va se passer des choses. Un Admirations 2 était prévue, mais n’a jamais vu le jour. Nous aurions pu y découvrir un chapitre dédié à Clark Ashton Smith.

P. Louinet : Comment le milieu professionnel de l’époque percevait-il ces auteurs ? Étaient-ils perçus comme des écrivains sérieux, ou étaient-ils appréciés parce qu’ils étaient à côté des clous de la critique classique ? Aujourd’hui nous faisons attention à respecter leurs textes à la virgule près, nous allons traquer les coquilles et les manuscrits. Ce genre d’approche révérencieuse, limite religieuse, existait-elle à cette époque, où s’agissait-il plutôt d’un travail de passionné où l’on est fan avant tout et/ou l’important est que cela aille vite et soit très joli ?

F. Truchaud : Un public de fanatiques était vraiment révérencieux de ses auteurs, notamment de Howard Philips Lovecraft.

C. Thill : Pour ceux qui n’ont pas vécu durant cette période héroïque, il est difficile d’identifier le lectorat. Si l’on se base sur les fans de Lovecraft d’aujourd’hui, nous voyons qu’il y a un double visage, avec d’un côté les passionnés érudits et de l’autre des jeunes geeks qui vont rigoler à la moindre mention de tentacules verdâtres. L’impression que j’ai, c’est qu’au début des premières publications lovecraftiennes (en France), il y avait une ambiance plus littéraro-intellectuelle que ce que nous pourrions imaginer. J’ai été frappé par le fait que les premières critiques de Lovecraft paraissent dans des magazines littéraires comme Les Lettres françaises. On le comparait avec Edgar Poe. Je ne sais pas ce qu’il en était de Howard.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Ci-dessus, ce diaporama vous est dédié, fans de Robert E. Howard !
Sur les premières photos, posant avec notre mascotte : Argentium Thri’ille et Pallantides.

P. Louinet : À l’époque c’était Sprague de Camp qui dirigeait tout. Il était chargé de la diffusion et de la protection de l’œuvre. Donc c’était plus complexe pour Howard, puisque la personne chargée de faire sa promotion présentait ses textes tels des divertissements inintelligents, et même complètement cons. « Le monde est simple, les femmes sont nues et il y a un monstre qu’il faut tuer avec une épée »… La montagne à gravir a été beaucoup plus ardue.

Enfin, en 1976, paraît L’homme noir dans le premier numéro de la collection Le masque fantastique (Librairie des champs Élysées). La traduction est de François Truchaud. Il s’agit du prélude aux fameuses éditions NéO…

Passons aux questions et aux remerciements :

Public : Moi qui suis de la génération suivante, j’ai pris contact avec Howard par le biais du film Conan de John Milius. Lorsque je me suis rendu compte que le personnage était tiré de livres, on m’a prévenu qu’un auteur (de Camp) était passé derrière et que ce que je m’apprêtais à lire n’aurait rien à voir avec ce que j’attendais. Je n’ai pas lu les livres parce que je voulais découvrir les écrits de Howard, pas les écrits de « Howard, mais on est pas sûr que c’est lui ». Même encore maintenant, quand on dit « moi j’adore Howard et j’adore Conan », il faut alors passer par quelques minutes d’explications. Merci à François Truchaud pour ses préfaces NéO ! Je ne sais pas si vous avez vu cette vidéo du Fossoyeur de films sur Conan, mais il nous faut bien expliquer que nous n’aimons pas uniquement les gros bœufs et les filles à poil.

Patrice Louinet : Exactement ! Il est vrai qu’aujourd’hui (je parle également au nom de Christophe Thill) le travail est plus facile parce que nous provenons de la seconde génération et nous arrivons après des gens qui ont tout défriché avant nous, qui ont su susciter une passion. Nous avons accès aux manuscrits, nous avons affaire à des œuvres qui sont connues par le grand public, ne serait-ce que par les produits dérivés. Mais ceux d’avant, Jacques Bergier, Jacques Papy et François Truchaud, par exemple, ne travaillaient qu’avec ce qu’ils avaient à leur disposition, c’est à dire pas grand-chose. Va traduire une nouvelle de Conan ! On va réutiliser une version de poche parce que c’est tout ce que nous pouvons trouver ! En France, on n’a pas accès à des Weird Tales. Ces gens sont des pionniers en ce sens qu’ils ont travaillés du mieux qu’ils le pouvaient avec peu de matériel. Certes, parfois le résultat n’est pas toujours extraordinaire, de bonne qualité, ou même fidèle, mais, en tout cas, il y a une chose que nous ne pouvons pas nier dans ce travail, c’est la passion. Nous devons donc passer sur les défauts qui ne sont, en fait, que des détails.

Public : J’ai entendu dire que les illustrations faites par Druillet pour les Éditions Spéciales étaient, à la base, réalisées afin d’illustrer Elric le nécromancien ou un autre projet. Certaines couvertures ne ressemblent pas à ce que nous pouvons lire dans les récits de Howard.

10_verreCi-dessus, de gauche à droite, Jean-Michel Nicollet, Patrice Louinet
et François Truchaud en terrasse après ce Howard Day.

François Truchaud : Il ne me semble pas. J’avais vu les premières planches de Druillet, et ce n’était pas du tout ça. Je crois qu’il les a réalisés spécialement. Peut être n’avait-il pas lu le texte et est parti sur son propre imaginaire.

Public : Monsieur Truchaud, pourquoi n’avez-vous pas réalisé la traduction du premier Conan aux Éditions Spéciales ?

F. Truchaud : Le livre était déjà traduit, par la certaine Anne Zribi. Je ne sais pas d’où elle sortait ! Le volume devait paraître chez un autre éditeur, mais le projet a été abandonné, puis repris par Lattès.

P. Louinet : Avec elle les bandits faisaient « la bombe », dans la nouvelle La Tour de l’éléphant !

Jean-Luc Rivera (dans le public) : Petite remarque sur la réception dans les années soixante. Il ne faut pas oublier une chose, c’est que le lectorat qui lisait Planète était formé par des personnes cultivées qui avaient des moyens, parce que la revue était chère pour l’époque. Les lecteurs étaient plus ouverts que la moyenne. L’aspect littéraire n’était qu’un aspect. On lisait sur l’architecture et les arts en général. Nous nous posions pleins de questions, vivant ainsi dans la France du général de Gaulle. Nous voulions écarter les carcans. – Jean-Luc Rivera sur ActuSF.

Public : À l’époque on disait que les hippies avaient tous Bilbo le Hobbit dans leurs sacs à dos. C’était marqué sur la jaquette de l’une des éditions. Mais les hippies, lisaient-ils Howard ?

F. Truchaud : Non, je ne pense pas !

Public : Il est étonnant qu’un écrivain aussi cinématographique que Howard ne possède pas beaucoup d’adaptations de qualité.

P. Louinet : Je pourrais faire référence à la page 225 de Le guide Howard, dédié à F. Truchaud : « Il n’existe à ce jour aucune adaptation d’un texte de Howard au cinéma ». Vous savez peut-être que nous parlons depuis très longtemps d’une suite des Conan avec Arnold Schwarzenegger. Je pense que ce projet n’a jamais existé et qu’il n’existera jamais pour des raisons longues à évoquer ici. François, tu étais là lorsque le Conan de Milius est sorti, puis celui de Richard Fleischer.

F. Truchaud : Ce n’était pas très bon. Le film de Milius comportait de bonnes choses, mais il a ajouté ses japonaiseries. L’ensemble est assez mitigé.

En parlant d’adaptation, c’est le thème de la prochaine conférence : REH en bande dessinée. Ce Howard Day devait recevoir Jean-Pierre Dionnet (interviewé dans le prologue à cet article), mais il ne pouvait venir. Cette conférence fut donc moins longue, mais toutefois très intéressante. C’est à venir tout de suite.

11_dedicace2Ci-dessus, François Truchaud et Patrice Louinet en dédicace.

Patrice Louinet : J’ai découvert Howard par les comics Marvel. François Truchaud a élaboré deux numéros historiques spécial Howard à l’Écho des savanes. Jean-Pierre Dionnet, par l’intermédiaire de Métal Hurlant et des Humanoïdes associés, a publié deux albums luxueux de Barry Windsor-Smith en format géant, extraordinaires, mais aux traductions plutôt mauvaises. Les éditions Lug et Arédit sont les deux autres maisons qui publièrent des aventures de Howard. La première édition de l’une de ses nouvelles, si l’on puis dire, date de 1976. Mais revenons quelques années en arrière.

En janvier 66 parait le premier volume de la collection Conan aux États-Unis chez Lancer.Ce sera un succès phénoménal. Les chiffres varient, puisque les comptes de la firme sont tenus bizarrement (cela servait à blanchir l’argent de la mafia). On parle de millions d’exemplaires vendus. Ce qui va intéresser une firme connaissant alors un franc succès. Marvel Comics. Un jeune rédacteur en chef, Roy Thomas, souhaite produire une bande dessinée différente, sans super héros. Il contacte Lin Carter (créateur de nombre de pastiches) afin d’adapter Thongor… Et cela parce qu’il est persuadé que Conan coute beaucoup trop cher. Stan Lee n’était pas super emballé… Je raccourcis l’histoire. Roy Thomas entre en contact avec Glenn Lord (une interview de P. Louinet à son sujet ici), qui était le légataire testamentaire des héritiers de Howard. Stan Lee lui avait dit de proposer 25 $ de droit par pages. Roy Thomas, trouvant l’offre ridicule, lui en offre trente. Glenn Lord accepte, le comics est lancé. Il aura beaucoup de mal à démarrer. L’illustrateur, Barry Smith, qui est aujourd’hui une vedette, n’était à l’époque qu’un sous Kirby que personne ne connait. Les premiers dessinateurs envisagés étaient John Buscema et Gil Kane, des vétérans chevronnés coutants beaucoup trop chers. Du coup, on choisit le jeune anglais. Surprise ! En quatre/cinq numéros, Barry Smith a un style qui se métamorphose, qui devient absolument extraordinaire. La bande dessinée est lancée en octobre 70, elle vivote avant que les ventes ne remontent. En deux ans, elle rafle tous les prix de l’époque. C’est un succès phénoménal.

Barry Smith quitte la bande, se fait remplacer par John Buscema, le dessinateur définitif de Conan. En tout cas, celui par lequel l’imaginaire de beaucoup va se fixer. D’autres revues sœurs paraissent, Savage Tales of Conan puis Savage Sword of Conan en 1974 et des éditions géantes, que l’on appel les Marvel Treasury, en 1975. Conan est partout aux États-Unis. En France les premiers comics de super héros paraissent à la fin des années soixante et elles ont une existence brève du fait de la censure et des lois de 49 sur les publications destinées à la jeunesse. Deux éditeurs publient globalement toute la production Marvel : Arédit/Artima et Lug. En 1976, deux albums vont paraitre quasiment en même temps. Le premier chez Lug et le second aux Humanoïdes. Pourquoi avons-nous cette convergente-là ? Tout simplement parce qu’à l’époque, aux USA, Conan c’est La série qu’il faut avoir lue. Ce qui est assez inhabituel, c’est qu’elle va intéresser quatre éditeurs d’un coup.

Les éditions Lug, firme lyonnaise, vont publier neuf albums avant d’arrêter. Ça ne marche pas. Ils ne publient que des histoires tirées de la revue américaine Savage Sword of Conan, en noir et blanc, dessinées par J. Buscema et encrées par Alfredo Alcala qui réalise un travail étonnant. Lug, éditeur frileux s’il en est, a peur de la censure. Un album en France n’est pas soumis aux lois sur la censure, mais depuis qu’ils ont dû arrêter des revues à la fin des années soixante-dix, ils censurent malgré tout. Cela donne des choses ridicules. Dès qu’il y a une épée qui s’abaisse (vous imaginez Conan faisant voler des têtes dans la légèreté printanière), il n’y a pas de sang qui gicle. La case super célèbre de Conan sur une île, prenant son épée et l’abatant sur le bras d’une sorte de grand singe velu, a donné, en France, une chose totalement improbable. Le bras du singe n’est plus coupé, il a été redessiné. Mais, en bas de page, nous le voyons tout de même par terre parce qu’ils ont oublié de le gommer.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Ci-dessus, des souvenirs ramenés de ce REH Day, Conan et ses aventures Weird Tales,
Conan et le prototype du jeu éponyme de Monolith.

Deux trois ans plus tard, en 1979, la série s’arrête. Mais, pour beaucoup, cela a été notre point de contact avec Howard. À l’époque j’étais un Marvel zombie. J’achetais tout ce que je trouvais, dont Le royaume des damnés de Conan. J’ai trouvé ça nul. Je me demandais ce que pouvait bien être ce truc qui ne comportait pas de super héros. Mais j’ai tout de même acheté le suivant, que j’ai trouvé génial. Puis je me suis intéressé à tout ce que je pouvais trouver sur Howard et, en 1977, il ne s’agissait que de bandes dessinées. Sur chacune d’elles nous pouvions lire « d’après le personnage inventé par Robert E. Howard ». Nous savions donc qu’à la base il s’agissait de textes.

Arédit/Artéma va publier plein de petites bandes dans plein de publications. C’est remonté, c’est coupé, c’est assez amateur. L’avantage est le grand nombre de numéros. Mais les premiers qui vont essayer de faire quelque chose d’important, en matière de format et d’adaptation, ce sont les Humanoïdes associés. François, travaillais-tu déjà pour eux ?

François Truchaud : Un peu après, mais je les connaissais.

Patrice Louinet : Il y a eu deux albums : Les faucons des mers et Les clous rouges, adapté de la nouvelle éponyme et qui parut en grand format quelques mois auparavant aux États-Unis. Ces albums sont aujourd’hui difficiles à trouver en bon état du fait de leurs formats. Les Humanoïdes sont les premiers à vouloir imposer Howard au grand public, même si cela n’a pas beaucoup marché. La traduction est de Philippe Manœuvre, que nous connaissons de par les émissions dans lesquels il s’est produit (parfois en compagnie de son ami Jean-Pierre Dionnet). À l’époque il est le monsieur Rock de Métal Hurlant et sa traduction est vraiment Rock’ n Roll.

L’écho des Savanes est piloté par un monsieur appelé Fershid Bharucha, qui lança la revue parallèle Spéciale USA. Il s’intéresse énormément à la BD américaine et connait beaucoup de monde dans ce milieu puisqu’il voyage régulièrement aux États-Unis. Il publie plein de comics américains jugés trop adultes, violents et transgressifs pour des éditeurs plus classiques et plus sages. Deux numéros spécial Howard voient le jour en 1978 avec, aux commandes, François Truchaud.

François Truchaud : Je traduisais des BD pour l’Écho des savanes avant de sympathiser avec Fershid Bharucha qui avait ce projet. Je pense qu’il avait dû lire ma préface de L’homme noir. Il y eut un troisième numéro qui n’était pas intégralement consacré à Howard, mais les deux premiers volumes étaient uniquement consacrés à des adaptations fidèles de ses nouvelles. J’ai travaillé avec des auteurs fabuleux. F. Bharucha a choisi chaque texte.

P. Louinet : Et tu en as profité pour écrire quelques pages sur Howard en guise de préface.

F. Truchaud : Ce qui m’a servi par la suite quand les Oswald m’ont contacté.

P. Louinet : À chaque fois, tu traduis un petit poème, réalise un petit texte, qui va t’amener sur les NéO. Cela a eu des répercussions complètement délirantes. À cette époque, tu étais déjà un fan fondu de Howard et tu essayais de le faire paraître.

13_groupe1Ci-dessus, le fandom howardien après la journée R.E. Howard.

Toutes ces éditions ont une chose en commun, c’est qu’elles s’arrêtent à la fin des années soixante-dix : Lug en 79, les Humanoïdes en 76, la série de chez Artima va perdurer sur différents formats, et l’Écho des savanes stoppe en 78-79. C’est à dire peu de temps avant la sortie du film de John Milius qui, de par son existence, a relancé toutes les bandes dessinées de Conan (en particulier) en France. Depuis c’est un flot ininterrompu. Dans le petit milieu de la bande dessinée, nous retrouvons François Truchaud, Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet… Qui sont à l’origine de la publication des nouvelles. Tous leurs efforts vont nous amener à 1979, aux années NéO. C’est à suivre.

Les questions du public :

Poulpy (dans le public) : Quand est-il des rééditions des comics Conan aujourd’hui ?

Public : Deux volumes sont parus aux éditions Soleil et les chroniques de Conan sortent chez Panini. Il s’agit de l’intégral qui reprend la chronologie, mais pas les pages qui ont été censurées par Lug. C’est assez bien fait, mais certains critiquent la luminosité de certaines planches, car nous ne voyons pas bien les dégradés. Il est intéressant d’avoir les premiers volumes chez Soleil, car la mise en page est plus belle, quoique moins respectueuse.

P. Louinet : Autant pour les textes, aux États-Unis comme en France, on a droit à de belles éditions, autant, en terme de bande dessiné, il n’y a aucune réédition qui rend justice aux auteurs.

Public : Pouvons-nous trouver l’intégral des numéros de Buscema aux États-Unis ?

P. Louinet : Il y en a tellement ! Nous pouvons trouver les « gros annuaires » Savage Sword of Conan, et la revue Dark Horse réédite la plupart des comics, mais pas tous, car ils n’ont pas les droits. Dans cette collection, ils ont appliqué des couleurs modernes que je trouve immondes. La seule édition digne de ce nom est parue il y a vingt ans chez Marvel. Cela s’appelle Conan Saga. C’est un magazine reproduisant les trente premiers comics par Barry Smith au format noir et blanc.

Public : Conan n’est-il paru qu’en Amérique et en France ?

P. Louinet : Non. Nous le trouvons partout. Il y eut une édition anglaise de Savage Sword… C’est paru dans tout les pays du monde dès les années soixante/soixante-dix. Quand j’aidais Glenn Lord à récupérer les éditions de Howard, j’en ai trouvé dans des pays comme l’Estonie, la Russie (j’avais répertorié 97 recueils de nouvelles de Conan écrits par des auteurs russes), le Japon, la Chine, l’Amérique latine… Pareil pour la bande dessinée. Conan était la série phare de Marvel. Lorsque Kirby a quitté Marvel, ce fut la fin du silver age. Les années soixante-dix furent beaucoup plus expérimentales et Conan a mené la charge pendant dix ans. Tous les droits d’époque appartenaient à Marvel, mais la compagnie les a perdus il y a une quinzaine d’années parce qu’ils ont oublié de les renouveler. À cette époque, Marvel était limite en train de faire faillite. Dark Horse a pu les acheter pour une bouchée de pain. Cette firme a à présent tous les droits sur Conan ainsi que sur certains de ses dérivés puisqu’ils les ont récupérés auprès de la maison mère.

La question des droits, chez Howard, n’est jamais simple. Jamais ! Plusieurs sociétés existent pour chaque personnage, comme Solomon Kane. Il y a même une Kull corporation. Red Sonja, le personnage d’Howard appartenant à une nouvelle historique, n’est pas à confondre avec la Sonja de Marvel qui appartient à Dynamite. Voilà pourquoi il n’existe pas de cross-over Conan/Sonja chez Dark Horse. Il ne peut pas y avoir de projet de réédition de ses séries en France pour la bonne raison que tous les projets doivent passer par les États-Unis.

14_groupe2Ci-dessus, le fandom howardien (bis) mitraillé par Poulpy et le photographe d’ActuSF.
Son diaporama est disponible à cette
adresse.

Public : Quand est-il des bandes dessinées inspirées par l’univers de Howard, comme celles de Richard Corben ?

F. Truchaud : Les Humanoïdes Associés avaient publiés Blood Star, librement inspiré de Howard tout en lui étant fidèle par certains aspects. C’était vraiment une réussite. Jean-Pierre Dionnet aimant beaucoup Corben. Il a publié plusieurs de ses albums.

P. Louinet : Il y eu également Almuric de Tim Conrad. Robert E. Howard est l’auteur qui, de par son style et ses thème à le plus inspiré les auteurs de BD des années soixante-dix. Et même encore aujourd’hui ! Tellement de gens ont une approche différente de cet auteur. Et elles fonctionnent ! C’est un auteurs aux univers facilement adaptables dans de nombreux styles.

To be continued…

Revenez nous voir pour la dernière conférence : Les années NéO, qui vous sera retranscrite dans la dernière partie de ce reportage. Vous trouverez également de nouvelles photos ainsi que des diaporama vous présentant l’exposition de Jean-Michel Nicollet. À Bientôt, sur l’Antre du poulpe !

Poulpy.

A propos poulpinounet

Poulpy, c'est un poulpe à tout faire. Il se doit de disperser ses tentacules sur plein de supports... Ce poulpe est graphiste (donc masochiste), il parle de lui à la troisième personne (sérieux ?), est reporter (surtout), et critique. Minimoi s’essaie donc à au dessin, à la photo, et aussi : j’écris (un peu). Mes dessins font place à des montages, les montages à des textes, des histoires, des articles... Blogueur invétéré, Poulp(inounet) ne fait pas que promouvoir la culture, il crée également ses propres œuvres, pour lui comme pour d'autres.
Cet article, publié dans Chroniques, est tagué , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour Howard Day, partie 2

  1. Ping : Howard Day, partie 3 | L'antre du poulpe

  2. Ping : Jérôme Sorre et Stéphane Mouret, Une nuit au club Diogène | L'antre du poulpe

Laisser un commentaire