Howard Day, partie 3

The Howard Day
Au festival des Mondes de l’Imaginaire de Paris

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          En ce qui me concerne, il n’est aucun travail littéraire qui soit, ne serait-ce qu’à moitié, aussi enthousiasmant que de réécrire l’Histoire sous forme romanesque. J’aimerais pouvoir consacrer le reste de ma vie à ce genre de travail. Je pourrais écrire pendant un siècle qu’il resterait encore des dizaines de récits qui réclameraient d’être chroniqués. La moindre page de l’Histoire regorge d’événements dramatiques qui ne demandent qu’à être couchés sur le papier.

R.E. Howard, introduction de Le seigneur de Samarcande,
traduction de Patrice Louinet.

Tout ce dont vous aviez besoin de savoir avant de vous rendre au Howard Day ici.

La première partie de ce reportage
Dédiée à Patrice Louinet et Robert E. Howard, présentant les invités, c’est ici.

La seconde partie du reportage vous trouverez des interviews de François Truchaud, de Jean-Michel Nicollet et de Christophe Thill, mais également une retranscription des deux premières conférences, c’est ici. Dans cette troisième partie, Patrice Louinet, Jean-Michel Nicollet et François Truchaud présentent Les années NéO.

Rendez-vous également sur ActuSF pour découvrir diaporama et fichiers audio des conférences. Robert E. Howard en France, la Préhistoire, Robert E. Howard en bandes dessinées et Les Années Néo, suivie de Hommage à François Truchaud.

VI. Howard Day : mais encore…

Et surtout !

01_terrasseCi-dessus, de gauche à droite Jean-Michel Nicollet, Patrice Louinet et François Truchaud.

Patrice Louinet : Si, il y a quelques décennies, on m’aurait dit que je me trouverais aux côtés de Jean-Michel Nicollet et de François Truchaud, que je serais en train de les présenter pour une conférence sur les années NéO, je ne l’aurais jamais cru. C’est un immense honneur. Je n’échangerais ma place contre rien au monde. Ce sont deux individus extraordinaires qui, par bien des façons, ont changé ma vie.

Pour la préparation de l’exposition, j’ai passé un temps extraordinaire avec moi-même à regarder les originaux des œuvres d’art de Jean-Michel Nicollet. Elles sont toutes magnifiques. Pour moi, c’étaient des Madeleines de Proust. Je me suis souvenu du jour où j’achetais le Howard correspondant, de ce que j’ai ressenti à leurs lectures… Combien de NéO ai-je acheté à cause de la couverture pour finalement être déçu à la lecture. C’est grâce à la couverture de Jean-Michel que j’ai lu Dennis Wheatley… Il a illustré beaucoup de Robert E. Howard, chez NéO, mais aussi Lattès. Le Conan de Jean-Michel, sur la couverture du deuxième volume avec la reine de la côte noire, fait partie de mes représentations favorites.

François Truchaud, la première fois que je l’ai appelé, c’était il y a plus de trente ans. À l’époque, j’animais une émission de radio amateur qui s’appelait Les Grands Anciens. On critiquait des livres fantastiques et nous avions un partenariat avec NéO. Nous passions tout leur catalogue. Hélène Oswald (cofondatrice des éditions avec son mari Pierre-Jean Oswald) nous envoyait un service de presse, parfois en avant-première. Nous avions conçu l’idée de faire une émission spéciale Howard qui dura quatre heures. J’ai encore l’enregistrement, mais je ne vous le passerais pas : il est juste compromettant ! On a eu cette idée folle d’inviter F. Truchaud. Mais qui allait l’appeler ? Appeler François Truchaud, c’était appeler Dieu. C’était Le traducteur de Howard.

Je me souviens très bien de ce coup de fil, c’était avant les portables. Nous étions au studio d’enregistrement. Nous avons fait le numéro. Il a décroché. Et là, c’est devenu très très dur. Comment parler à un être pareil ? À quelqu’un qui, tous les deux mois, nous apporte son volume Howard. C’était quelque chose. J’étais hyper ému de cette interview, que nous avons un peu massacrée au montage.

Deux/trois ans plus tard, à l’université, je réalise un mémoire de maitrise sur Robert E. Howard. J’avais besoin de partir au Texas, de contacter Glenn Lord. François m’a dit : « contacte-le de ma part. Tu verras, ça se passera très bien ». Je lui ai donc écrit, et il m’a répondu. Je n’avais pas un centime et il fallait que je monte à Paris pour prendre l’avion. François m’a invité chez lui et je suis parti à Cross Plains le lendemain. Ce jour-là, François m’a dédicacé un exemplaire de Le pacte Noir. Encore une fois François m’a permis de réaliser quelque chose d’extraordinaire. Quelques années plus tard, je me suis rendu à une convention aux États-Unis Robert Bloch était l’invité d’honneur. J’en parle à François et il me dit « pas de problème, écrit à Robert Bloch de ma part ! Il te rencontrera ». Je lui écris. Dix jours après je reçois une réponse. Il me propose de le rencontrer à la fin de la convention, le dimanche soir. Et nous avons diné ensemble. Merci François.

Nous allons parler des années NéO parce que, pour beaucoup d’entre nous, le travail qui a été fait de 1979 à 1990 (environ) a été extraordinaire. François, peux-tu nous parler du début des Nouvelles Éditions Oswald ?

02_papouillesCi-dessus, un au revoir après ce super festival.

François Truchaud : En 1978 je reçois un coup de fil de Hélène et de Pierre-Jean Oswald, qui venaient de créer les Nouvelles Éditions Oswald. Ils voulaient publier du Howard. Je pense qu’ils avaient dû lire mon introduction de L’homme noir au Masque fantastique (qui désirait publier une suite, Le pacte noir) et peut-être l’Écho des Savanes spécial USA dédié à Howard. Ils me demandèrent donc si j’avais des choses à leur proposer. Je vais les voir et leur apporte mon projet qui trainait depuis des années : Le pacte Noir. J’ai commencé à traduire le livre, qui est sorti en 1979. Ce fut le second numéro de la Collection Fantastique. En même temps, ils m’ont demandé si je connaissais un illustrateur pour les couvertures. J’ai tout de suite pensé à Jean-Michel Nicollet, que je connaissais très bien. C’est comme cela que l’aventure a commencé pour nous deux.

Jean-Michel Nicollet : On se connaissait au préalable par l’intermédiaire de Philippe Druillet. Nous fréquentions généreusement ses soirées. Philippe réunissait un certain nombre de personnes… C’était fortement osé, très sympathique… Quand François m’a appelé pour rejoindre la maison NéO, personne ne savait ce qui allait en ressortir, ni même si la collection allait durer. J’ai illustré la première couverture, Sept pas vers Satan d’Abraham Merritt, puis Le pacte Noir. J’avais décidé de construire la couverture sur un processus géométrique en trois colonnes. Plutôt que de trouver un système graphique quelconque, j’ai joué sur la verticalité. Et, au numéro cent et quelques, je n’ai pas arrêté. J’ai continué jusqu’au bout.

Je dois dire que nous avons passé de très bons moments. Il y a quelque chose qu’il faut souligner. C’est que si la maison NéO a eu des difficultés financières à différentes périodes, j’ai toujours été payé ! C’est par Métal Hurlant que tout a commencé. J’ai réalisé quelques couvertures ainsi qu’un livre sur le diable qui a convaincu la maison NéO. Auparavant je travaillais à Lui et Playboy…. Et pour Gallimard, sur des romans classiques. Le fantastique était une de mes passions, en particularité sur le plan littéraire. Je détenais presque tous les Marabout avant de chercher les éditions originales des auteurs que nous pouvions trouver. Je dois dire que j’ai toujours lu tous les livres dont j’ai réalisé les couvertures. Quelle que soit la maison d’édition. J’y tiens beaucoup parce que, autrement, on fait des contresens phénoménaux.

F. Truchaud : Jean-Pierre et Hélène Oswald étaient-ils des passionnés de fantastique, ou voulaient-ils seulement profiter du fait qu’il n’y ai pas de marché pour démarrer leur collection ?

JM. Nicollet : Ils aimaient beaucoup le fantastique et le policier, et cherchaient de nouveaux auteurs.

P. Louinet : Les auteurs publiés sont très nombreux. Nous trouvons beaucoup de livres de Jean Ray, de John Flanders, de Clark Ashton Smith, de Graham Masterton…. Les parutions devenaient frénétiques. Parfois deux/trois titres paraissaient tous les mois. C’était délirant ! Comment se passait la sélection des titres au quotidien ? Je me doute bien, François, que tu avais un plan bien défini de la parution des Howard.

F. Truchaud : Eux avaient des idées préconçues sur ce qu’ils voulaient publier, et moi je proposais des projets. Howard, Masterton, et beaucoup d’écrivains que j’admirais, mais partiellement traduits, comme Clark Ashton Smith. Et puis il y avait des rééditions. Notre idée était de créer une bibliothèque idéale du fantastique en reprenant des auteurs dits « classiques » et en les intercalant avec des auteurs à découvrir.

03_conf1Ci-dessus, JM. Nicollet, P. Louinet et F. Truchaud présentent les années NéO.

P. Louinet : Ce catalogue est très varié. Là, je me tourne vers l’illustrateur qui lit tout les livres qu’il doit illustrer. Il doit y avoir quand même des auteurs peu passionnants, des sensibilités différentes. Jean-Michel, quelle était ton approche ? Prenais-tu des raccourcis ?

JM. Niccolet : Dans la pratique technique de l’illustration, il y a de très mauvais bouquins qui font de très bonnes couvertures parce que l’idée de base peut être conçue graphiquement. Et il y a de très bons bouquins qui font de très mauvaises couvertures. Prenons un cas comme Kafka. Il est quasi impossible d’illustrer La métamorphose. Tout le monde s’évertue à faire une espèce de coléoptère ou de larve. Alors que l’histoire, ce n’est pas du tout ça. La première couverture qui a été faite représente un homme inquiet sur son lit. Il faut aller chercher des choses complexes.

Le but et l’idée fondamentale de faire une collection encyclopédique du fantastique ont duré dix ans. Cela aurait pu continuer pendant des années. Mais NéO a eu des problèmes financiers et, surtout, de diffusion. Ils ont changé plusieurs fois de diffuseurs. Le dernier qu’ils ont eu avait des tendances catholiques. Il pensait que les livres qu’il devait promotionner étaient démoniaques. Je crois que cela a beaucoup aidé à leurs difficultés et à leur dépôt de bilan. On a proposé des solutions qu’ils n’ont pas voulu prendre, mais ça, c’est leur choix, car ils voulaient garder la propriété de leurs œuvres. Hélène est une fille assez autoritaire. Il faut le reconnaître. C’est un personnage qui a ses idées et qui ne lâche rien.

À titre d’anecdote, elle ne supporte pas les ascenseurs. Elle avait un banquier qui était au treizième étage et qu’elle obligeait à monter à pied. Elle est drôle, avec des maniaqueries importantes, et elle est très cultivée. Pierre-Jean était beaucoup plus libéral dans ses concepts. Hélène est toujours vivante, mais nous avons récemment perdu tout contact.

Ce couple était extrêmement cool. Pas comme d’autres éditeurs, tels Lattès ou Gallimard, qui avaient une structure très administrative et austère. Il y avait un côté familial, chez NéO. Nous pouvions dire ce que nous voulions et proposer des livres. J’en ai moi-même proposé quelques-uns qui n’ont pas été pris… C’est dommage. Mandragore de Hanns Heinz Ewers aurait été intéressant à publier, mais ce n’était pas de la littérature anglaise. Si nous avions pu atteindre les mille volumes, alors les parutions auraient vraiment été internationales. Chez NéO, il y eut des reprises des éditions Marabout, des novateurs dans le genre. Énormément de volumes surchargent ma bibliothèque. Je m’en défais, ne gardant que le fantastique et les livres sur le diable, qui m’intéresse beaucoup…

Si j’ai fait ce métier, dans ce domaine-là, c’est à cause de Jean Ray. C’est l’auteur qui m’a le plus branché. Quand j’étais jeune, mon père me disait : « pourquoi tu lis ces conneries de gare ? » J’étais passionné.

P. Louinet : François, avais-tu la même relation avec les Oswald ? J’ai souvenir d’être allé chez NéO, et d’avoir rencontré Hélène. Cela avait en effet l’air familial. Est-ce aussi ton souvenir ?

F. Truchaud : Tout à fait. C’était une ambiance très décontractée. Nous nous mettions autour d’une table, avec Jean-Pierre et Hélène, et puis nous discutions de nos prochaines publications. Je proposais des idées, des livres inédits, et tout se faisait très simplement, sans dictat ni interdits.

P. Louinet : Comment ce fait-il qu’Hélène prenait tes bouquins et pas ceux de Jean-Michel ?

JM. Nicollet : J’avais proposé un livre qui s’appelait l’Araignée (de Ewers). Hélène a une psychose sur les araignées… Il ne fallait même pas prononcer ce mot !

P. Louinet : Toi, François, tu travaillais chez toi sur les traductions.

F. Truchaud : Nous nous rencontrions lorsque je rapportais une traduction et discutions pendant une demi-heure. Nos rendez-vous étaient informels.

04_conf2Ci-dessus, le petit Conan c’est incrusté sur la photo.

P. Louinet : Nous allons revenir sur Robert E. Howard. Le pacte noir paraît en 1979, avant un titre de William Hope Hodgson, et marche assez bien puisque, peu de temps après, le volume dix de la collection est consacré à Kull le roi Atlante, le 26 à Solomon Kane, le 38 au retour de Kane, le 40 à l’homme noir… 60 Bran Mark Morn, 78 Agnes de Chastillon… Brutalement il y eut une accélération dans le rythme de parution. Quatre à six Howard sortent tous les ans. Il est sans arrêt au catalogue. Est-ce un réel succès en librairie ? Comment as-tu réagi face à cet état de fait ? Il faut savoir qu’aux États-Unis, à cette époque-là, il n’y a rien. Plus aucune actualité howardienne. Le film de Milius a indirectement tué les éditions des œuvres de Conan car cela a créé une sorte d’overdose de la fantasy jusqu’à ce que George Martin « renouvelle » le genre en terme de popularité. Pourtant, en France, les NéO, qui paraissent sans arrêt. François, ton quotidien a-t-il changé ?

F. Truchaud : Après la parution de Le pacte noir je traduisis Kull le roi barbare pour le Masque fantastique. La série s’étant arrêtée, je l’ai proposé. Cela marcha bien et je continuai. À ce moment-là, en Angleterre, paraissaient les deux Solomon Kane que nous avons ensuite sortis. Nous avons réédité L’homme noir, puis ce fut la grande inconnue. Je pensais publier quatre ou cinq Howard, mais j’ai découvert de nouveaux livres pendant mes voyages à Londres, et je suis arrivé à trente-cinq volumes. À partir de El Borak j’en sortais un tous les deux mois, intercalé avec un Masterton. Mon planning était bien rempli.

P. Louinet : Tu es entré en correspondance avec Glenn Lord, l’exécuteur testamentaire des héritiers de Howard. Les héritières étaient deux petites mamies du Texas qui possédaient cette manne financière sans savoir ce que c’était. Je pense que si elles avaient lu les histoires, elles auraient été très choquées ! Tu n’as jamais rencontré cet agent, mais que t’a-t-il proposé ?

F. Truchaud : Je ne sais plus exactement comment ça s’est fait. C’était par le biais de l’agence littéraire Lenclude. Je possédais le livre de Glenn Lord, The last celt, qui me fit découvrir tout ce que Howard avait écrit. Ce qui était, pour la plupart des textes, inédit aux États-Unis. Je lui ai demandé de m’envoyer tous les manuscrits qu’il possédait, ce qui m’a fait du matériel en plus des livres parus. J’ai publié ce que j’appelle des Premières mondiales. Plus tard, j’ai reçu des fanzines qui comportaient d’autres inédits. Ça n’arrêtait pas ! Traduire Robert E. Howard ne m’a jamais posé de problème. Ce n’était pas une distraction, il y avait du travail, mais ça coulait assez rapidement.

P. Louinet : Alors, tu décides de traduire un volume. Les Oswald acceptent et publient. Mais comme ça se passe avec l’illustrateur ? Jean-Michel, tu recevais les textes bien avant. Était-ce parfois des épreuves, des versions en anglais ? Est-ce toi qui décidais du choix des illustrations ? Devais-tu faire des croquis préalables ?

JM. Nicollet : François me fournissait le texte en français. Jamais je n’ai fait de dessins préparatoires. Ça m’a d’ailleurs donné de très mauvaises habitudes parce que, pendant des années, les illustrateurs ne présentaient jamais d’esquisses. Chez Gallimard, on donnait nos originaux. Si un dessin était refusé, on était payé de moitié. Cette méthode n’existe plus, bien entendu. NéO, dès les premières couvertures, m’ont donné carte blanche. Je n’ai jamais eu de problème de présentation, même quand on a fait les poèmes, Chants de guerre et de mort. C’est ma femme qui a réalisé les maquettes pour ce numéro. On a bien vendu les livres, c’était avantageux pour tout le monde. Nous, nous étions payés une somme forfaitaire puisque ce volume eu un petit tirage.

05_duelCi-dessus, La confrontation : Jean-Luc Rivera et Jean-Michel Nicollet… Discutent.

Les concepts actuels de l’illustration ont complètement changé. Un illustrateur, avant, on lui faisait confiance. Sinon on ne l’appelait pas. En général, on connaissait son travail. Lorsque je suis arrivé à NéO, j’ai apporté quelques couvertures pour qu’ils aient un aperçu, mais cela était inutile. Maintenant, illustrateur, c’est un tout autre métier. Beaucoup moins bien payé. Il y a quelque temps, il m’est arrivé une aventure tout à fait extraordinaire. Un petit éditeur m’appelle et me commande une couverture. J’en réalise nettement moins de nos jours. Je lui demande de m’envoyer le texte et lui le questionne, comme ça, par hasard, sur le prix. Il me répond : 120 €. Moi, pour 120 €, je ne me lève même pas le matin ! Ce n’est pas possible ! Et je devais faire une maquette pour voir s’il l’accepte… Non.

J’ai travaillé pendant longtemps pour la collection Chair de poule. J’ai commencé par envoyé un petit croquis merdeux à la directrice artistique, qui était une amie, et ça n’a pas posé problème. Puis les choses se sont dégradées. Moi, je suis vieux. Je travaille comme les vieux. Sans esquisse préalable. Même si j’ai fait des expériences photographiques, que j’ai bricolé des trucs à n’en plus finir, chez NéO, ça c’est toujours bien passé. Quand on a à faire quatre/cinq couvertures par mois, il faut se renouveler, essayer de trouver des trucs originaux. Maintenant je fais de la peinture, c’est autre chose. Ça s’étale sur un an pour une exposition.

En parallèle des Howard, il y avait Harry Dickson… Là, j’ai fait de la photographie. Robert Doisneau a pris deux photos de moi avec ma pipe. Ce qui m’a servi pour illustrer la couverture de deux livres parus dans la collection Fantastique Aventure. J’ai tout recoloré et redessiné. Mais quand cela c’est décidé de publier tout les Harry Dickson soi-disant écrits par Jean Ray, on m’a dit « mon vieux, va falloir que tu réutilises ta gueule ». Mais j’avais fait cela pour plaisanter ! Ce n’était pas gênant parce que les gens ne savaient pas obligatoirement que c’était moi, sur la couverture. À l’époque j’adorais la retouche photographique. J’ai publié un livre sur Harry Dickson en grand format pour les éditons Crapule. J’ai eu beaucoup de difficultés à cause des droits. Pourtant il est impossible de prouver que H. Dickson appartient à Jean Ray. En fait, il a traduit des livres existants. Donc il n’a rien inventé.

J’ai dû réaliser cinq ou six cents dessins pour les éditions NéO, qui s’étalaient sur différentes collections. Ça a été un travail régulier, très sympathique, que j’arrivais à gérer en une à deux semaines. Et puis après je faisais ce que je voulais. Quand on m’envoyait les textes, on me donnait un délai. Maintenant il y en a de moins en moins. C’est problématique. J’ai travaillé toute ma vie sur commande, c’était stimulant et cela me permettait de m’organiser. Comme pour François qui tombait ces bouquins les uns après les autres. Après, il y a quelque chose d’important : c’est le pognon qu’il y a au bout. Faut bien le dire. Sans être vénal ni même me prostituer, je dirais que c’est agréable d’avoir du boulot…

Quand je rendais une couverture, je prenais ma journée. Je ne rentrais que le soir à la maison après avoir fait les libraires et les bistrots. C’était une phase de décompression. Maintenant je le fais plus parce que tout passe par ordinateur. Les dessins sont scannés. J’ai fait une affiche pour Bayard il n’y a pas très longtemps. Un squelette. Je voulais leur apporter, mais on m’a dit « envoyez-le ! Je ne veux pas vous voir ! » L’édition est devenue un monde vachement complexe. On ne cherche plus à communiquer. Je connaissais tout le monde chez Gallimard ou aux Humanoïdes Associés. Les voir, c’était l’occasion de boire des coups et d’échanger…

06_expo Ci-dessus, Jean-Michel Nicollet devant une de ces couvertures NéO.

P. Louinet : La traduction, comme l’illustration, reste un métier de solitaire. Nous pouvons être enchainés à une chaise pendant de longues journées. François, avais-tu besoin de décompresser et d’aller voir des gens ?

F. Truchaud : Pas pour Howard, mais pour Masterton, puisque les livres étaient plus gros. Il me fallait deux ou trois jours de réadaptation. C’était vraiment crevant.

JM. Nicollet : À un moment, on allait manger de la nourriture réunionnaise quand on avait fini.

P. Louinet : Dans les années soixante-dix, y avait-il des soirées NéO ?

JM. Nicollet : Non. On allait chez Druillet !

P. Louinet : C’est la première fois au monde que nous pouvons voir une exposition de vingt-deux planches NéO, plus une Lattès, réunies en un seul lieu. Moi qui connais ses illustrations par cœur, je les trouve magnifiques. Jean-Michel, peux-tu nous parler de technique ? Comment réalisais-tu ces couvertures ? Comment abordais-tu ton travail de façon pratique et matérielle ?

JM. Nicollet : Maintenant je dis que je les fais à la main parce qu’il y a de moins en moins d’illustrateurs manuels. Je suis de la vieille école. Ce sont des peintures acryliques que je réalisais en une journée et demie ou deux jours de manière à pouvoir gérer chaque couverture l’une après l’autre. Il y en a que j’aime mieux que d’autres, il y en a que je déteste. Celles que j’aime, je les garde pour les expos. Je vends les autres, de temps en temps. Je travaille pour des galeries qui vendent des originaux. Sur le plan technique, pour les concevoir, on réfléchit déjà à ce que l’on va faire, comment on va le faire, puis on dessine sur des calques. Après, ça va très vite. Une fois que le dessin est défini, comme c’est de l’acrylique, je travaille par couches superposées en commençant par le fond et en positionnant les choses. Avec un calque on peut cadrer les dessins comme on l’entend. Parfois on s’emmerde sur une illustration parce que la matière ne vient pas, parce que l’idée n’est pas idéale… Il ne faut pas croire que c’est le bonheur constant. Le dessin ou la peinture, c’est un peu comme la sexualité. Il y a beaucoup de préparation et, finalement, le plaisir, on l’a pendant quelques instants. C’est ça qui est un peu curieux dans ce métier. Nous recommençons pour retrouver le plaisir.

P. Louinet : Pendant de nombreuses années on a l’impression que NéO est invincible. Des intégrales sortent régulièrement, comme celle de Conan. François, tu considères cette époque comme les années dorées de ta carrière. Pourtant, ça va commencer à se tarir vers la fin des années quatre-vingt puis disparaître. Peux-tu nous parler du crépuscule des années NéO ? Quelles répercutions cela a-t-il eu pour toi ?

F. Truchaud : Les difficultés financières étaient dues au diffuseur. Les Oswald étaient acculés. Ce fut la faillite. Je travaillais de moins en moins pour eux parce qu’ils ne sortaient plus de titres qui me plaisaient. J’ai continué de traduire Masterton pour Presse Pocket. Nous avons eu dix fabuleuses années NéO, mais il fallait bien que ça s’arrête un jour.

JM. Nicollet : Ces années étaient merveilleuses. Je ne faisais pas que ça. J’étais prof, à côté, et j’avais l’assurance d’avoir des commandes régulières. Ça a été une période de libertés. Alors que d’autres clients moins sympathiques m’imposaient des choses plus emmerdantes. La fin, on l’a vu venir. Ça s’est dégradé progressivement. Moi, j’avais monté avec deux associés une maison d’édition concurrentielle pour lesquels, François, tu as travaillé. Il s’agissait de Crapule et de la collection Sombre Crapule qui s’orientait vers le fantastique. Je pensais que nous allions nous en sortir, mais un de mes associés est mort. L’autre était le directeur de Chant du Monde. On a donc revendu les droits à Rivages/Noir. Entre temps nous avions sorti La reine de la nuit de Marc Behm qui nous a posé un problème terrible. Il s’agissait des mémoires de la maitresse d’Éva Braun. Beaucoup ont cru que c’était une histoire vraie ! Marc Behm a développé un scénario impossible à filmer de par sa violence et en a fait un roman. Cette danseuse ne nous a jamais rapporté un centime. On a dépensé beaucoup d’argent en gueuletons pour préparer les bouquins et rencontrer des auteurs.

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Ci-dessus, l’exposition de Jean-Michel Nicollet (partie1)

P. Louinet : Jean-Michel, quelle est ta couverture NéO préférée ?

JM. Nicollet : Il y en a une qui m’amuse beaucoup. C’est La maison au bord du monde de Hodgson parce que c’est un livre que j’aime beaucoup. J’aime également Conan le vagabond de Lattès. C’est le dernier truc qu’on fait qui nous plait le mieux, mais on finit par s’en lasser. Parfois, on regarde une œuvre plus ancienne et on se dit : « c’est sympa ça. Je ne suis pas sûr que je pourrais le refaire… » C’est un coup de l’intuition du moment. Ce que j’ai réalisé de mieux dans ma vie, ce sont des trucs que personne n’a vus sauf mon galeriste qui me les a achetés. Ce sont des carnets tout en couleur de deux cents pages dont je n’arrache jamais une page et sur lesquels je dessine par période. C’est des rêves, des phantasmes… C’est ce qu’il y a de plus vrai dans ce que j’ai fait. Ce n’est pas en relation avec un texte, mais avec moi. Un troisième carnet est prêt à l’utilisation…

P. Louinet : François, de tous tes enfants NéO, quel est le plus cher à ton cœur ?

F. Truchaud : Je ne sais pas, j’hésite entre les Robert E. Howard. J’aime tous les personnages. Ce serait peut-être Le pacte noir ou les nouvelles fantastiques ultérieures.

…Passons aux questions :

Public : Mon grand regret chez NéO c’est de ne jamais y avoir vu les nouvelles de western de R.E. Howard, à une exception près dans La tombe du dragon. Je trouve que ces histoires sont les plus dures à traduire. Comment les avez-vous abordées ?

François Truchaud : Je les aimais bien. D’ailleurs je les avais mises au présent et Patrice n’avait pas aimé.

Patrice Louinet : C’était il y a très longtemps. J’avais trouvé ça bizarre, mais je reconnais que c’est un exercice extrêmement compliqué.

F. Truchaud : C’était un projet si NéO avait continué. Il ne restait pratiquement plus que cela à traduire, avec quelques nouvelles de boxe. J’avais des hésitations quant à la réception du public français.

Public : Le roman La reine de la nuit a-t-il été réédité ?

Jean-Michel Nicollet : Chez Rivages/Noir, je crois. Ça castagne ! C’est un bouquin qui est dur et qui raconte l’histoire de ces deux lesbiennes qui se délectent à la lecture de psychopathies sexuelles. En même temps, cette fameuse maitresse d’Éva Braun se marie avec le chef d’un camp de concentration. Ça se termine épouvantablement, dans la glace, à la libération. C’est un cas. Marc Behm avait des inédits étonnants et explosifs.

Public : Pourquoi ne pouvions-nous pas trouver les Conan chez NéO ?

F. Truchaud : Avec Jacques Vanère, pour le Masque fantastique, nous avions le projet d’éditer la série de Conan. Comme la collection c’est arrêté, c’est tombé à l’eau. Chez Oswald, on n’a jamais abordé cette question puisqu’il y avait déjà les éditions Lattès.

P. Louinet : Lors des rééditions j’avais demandé à Bragelonne de publier l’intégrale de Conan volume un et deux, et d’attendre avant de faire paraître le trois pour intercaler Solomon Kane. C’était tout à fait calculé. Je voulais que les gens lisent Conan, c’est très vendeur, mais également leur donner autre chose pour qu’ils disent non pas « Conan c’est génial », mais « Howard, c’est génial ! » Nous en sommes au troisième tirage de Solomon Kane, car le public est allé au-delà de Conan. D’où l’idée de publier Le seigneur de Samarcande juste derrière, qui est un recueil de nouvelles non fantastique. Pourtant Bragelonne ne publie quasiment que de la fantasy.

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Ci-dessus, l’exposition de Jean-Michel Nicollet (partie2)

Poulpy (dans le public) : Pensiez-vous éditer les pastiches de Lyon Sprague de Camp chez NéO ?

F. Truchaud : Nous n’avions pas cette intention. Je ne sais pas si vous avez lu ma préface à la biographie de Howard P. Lovecraft par de Camp. J’aurais fait les mêmes critiques. Certains passages du livre qu’il a écrit sur Howard m’avaient scandalisé !

Poulpy : Dans une interview, vous avez déclaré avoir pensé éditer une biographie de R.E. Howard, mais ne pas en avoir eu les possibilités à cause de la disparition de NéO. Ce projet sera-t-il repris ?

F. Truchaud : Tel le livre de Novaline Price ? C’est un très beau bouquin.

P. Louinet : Je vais faire une réponse à mot voilé… Novaline Price a écrit un livre de souvenirs sur ces deux années de relation amoureuse avec Howard, One Who Walked Alone. C’est un ouvrage absolument essentiel à toute personne qui voudrait connaître Howard. C’est son quotidien, leur histoire d’amour… Le livre est paru il y a trente ans aux États-Unis. Il provient du journal intime de N. Price. Tous les soirs, elle notait ce qu’elle avait vécu durant la journée en essayant de retranscrire les conversations. Cinquante ans plus tard, suite à la biographie de Sprague de Camp qui l’a horrifiée, elle l’a fait éditer en essayant de ne pas se corriger elle-même, mais de se repositionner telle qu’elle était en 1934, 35, et 36. Le bouquin est toujours disponible, mais n’est jamais paru en France.

Une chose m’intéressait, c’est d’avoir accès au journal de Novaline. L’original, et non la version coupée par Donald Grant, l’éditeur américain. On ne sait pas si celui-ci existe, mais (c’est là que je vais devenir évasif) je suis en contact avec le fils de Novaline que j’ai rencontré l’an dernier au Texas. Il se peut que des choses se fassent, en France, dans un avenir assez proche…

Public : Monsieur Truchaud, les préfaces que vous écriviez sur Howard sont pour nous merveilleuses. Comment récupèreriez-vous les informations pour les réaliser ?

F. Truchaud : Je me laissais guider par l’inspiration du moment et les écrivais très rapidement. Je me basais sur les textes et j’essayais de trouver quelque chose à dire sur chacune d’entre elles.

P. Louinet : Je pense qu’on a tout été emballé par tes préfaces parce qu’elles nous communiquaient ta passion.

Public : Est-ce qu’un jour nous pourrions trouver un art book reprenant les couvertures NéO ?

JM. Nicollet : Il existe déjà. Ça s’appel NéO. Le livre a été tiré à 150 exemplaires et il a un emboitage cartonné. Je ne suis pas pour les tirages grand public. Je ne vous cache pas que c’est un livre qui s’est vendu rapidement, en deux mois. Et il coutait 95 €. C’est un coup de poker réussi. Maintenant il en vaut 500 €. Il s’y trouve toutes les couvertures, même les inédites. La préface est d’Hélène Oswald, mais il n’y a pas de commentaires. La postface est de moi-même, j’y dis à peu près la même chose. Nous ne nous sommes pas consultés.

Public : Lors de la conception des couvertures, vous est-il arrivé de vous lancer dans un projet que vous avez regretté sans avoir le temps de changer de braqué ?

JM. Nicollet : Il y a une question de temps, c’est vrai, dans ce domaine où l’on est obligé de fournir. Comme dans celui de la bande dessinée. Je me sens un peu comme un blues-man qui peut être très bon un jour, et moins le lendemain. Il est vrai que j’aurais pu m’abstenir de faire certaines choses. Tant pis, c’est comme ça.

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Ci-dessus, l’exposition de Jean-Michel Nicollet (partie3)

Hyarion (dans le public – et sur les forums de robert-e-howard.fr) : Pour Lattès comme pour NéO, deviez-vous vous en tenir à un format particulier ?

JM. Nicollet : Chez NéO nous pouvons voir trois formats. Le premier est plus petit, c’est comme cela qu’est sorti Le pacte noir. Il y a l’habituel, et celui de la collection NéO+. Et puis il faut prévoir une marge, de la place pour le titre… C’est tout un cahier des charges. À l’époque, chez Gallimard, sortaient des agrandissements pas formidables pour des livres de poche. Après, j’ai agrandi mes illustrations. J’aurais tendance, avec le temps, à voir encore plus grand. Pourquoi faire des couvertures plus grandes ? Pour pouvoir organiser des expositions. J’étais dans le monde illustratif. Maintenant je pinaille dans un monde pictural. Je fabrique des formats en me disant que ce sera bien, une fois tout étalé.

Ce qui m’a amusé, c’était de fabriquer des collections. Quand j’étais jeune et que je voyais les livres illustrés par Michel Gourdon et René Brantonne, j’aimais le fait qu’il fasse toutes les couvertures. Pour Chair de poule, nous devions être trois. Finalement j’ai tout réalisé seul parce que mes collègues n’étaient pas des spécialistes du fantastique. Ça a duré un moment avant de s’user.

Public : La couverture de Steve Costigan et le signe du serpent m’a toujours impressionné. Il est dessiné de manière très réaliste.

JM. Nicollet : C’est réalisé à partir d’un document photographique. J’aime styliser les choses, mais pas devoir m’en tenir à une linéarité de fabrication. El Borak, au contraire, est très stylisé. Comme quoi, une fois que l’on préserve un tracé, un diagramme, on peut tout se permettre. On aurait même pu prendre un autre illustrateur… Égoïstement je voulais tout faire moi-même, comme à l’ancienne. Il n’y a qu’une couverture que je n’ai pas réalisée. C’est ma femme qui l’a faite. J’étais malade…

Hommage à François Truchaud

Patrice Louinet : Je voulais conclure cette journée Howard 2016 en consacrant quelques minutes à François Truchaud plutôt qu’à Robert E. Howard. François, tu es quelqu’un qui a une place capitale dans l’histoire de la littérature de l’imaginaire au même titre que tous ces gens qui nous ont fait découvrir des auteurs que nous considérons aujourd’hui comme majeures. Je sais que, au départ, cela n’était pas la chose vers laquelle tu te destinais. Tu es devenu celui que tu es aujourd’hui par déviation. Que peux-tu nous livrer sur ton parcours ?

François Truchaud : J’ai toujours été passionné par la littérature fantastique. Ma découverte de Robert E. Howard m’a propulsé vers de nouveaux horizons. Ceux de NéO, durant dix ans où j’ai traduit, préfacé et même réédité, avant de passer chez Presse Pocket. J’ai continué de traduire Masterton après cela, pour finalement, atterrir chez Bragelonne.

P. Louinet : Comment es-tu entré dans le bain de l’édition ?

F. Truchaud : Je rencontrais Dominique de Roux pour le cahier de l’Herne spécial Lovecraft pendant mon service militaire, puis Christian Bourgois qui lançait une collection fantastique sans savoir ce qu’il voulait faire. Il m’a proposé de réaliser des traductions. Ce n’était pas du tout mon intention, mais je me suis pris au jeu avec Mandragore de Ewers et Le repère du ver blanc de Bram Stoker. Je suis parti sur de la critique cinématographique, puis littéraire, avant que tout ne s’enchaine.

P. Louinet : Ce qui me marquait dans tes préfaces des premiers NéO, ce sont les références cinématographiques constantes. Tu es celui qui m’a fait découvrir La horde sauvage en faisant un parallèle avec un récit de Howard qui retransmettait « le ressentiment agonique de la vie ». Depuis c’est mon film préféré… Puis je me suis aperçu, lors de notre rencontre au siècle précédent, que tu avais écrit des livres sur Nicholas Ray et Liza Minnelli.

F. Truchaud : Ça remonte à mon adolescence. J’ai écrit ces deux essais puis j’ai fait des interviews…

10_trioCi-dessus, de gauche à droite, Jean-Michel Nicollet, Patrice Louinet et François Truchaud.

P. Louinet : Quand à cette journée, elle s’intitule Hommage aux Grands Anciens. Comment trouves-tu la comparaison ?

F. Truchaud : C’est peut-être un petit peu trop !

Public : Avez-vous eu l’intention de concevoir des pastiches de Howard ?

F. Truchaud : J’ai écrit une nouvelle avec des illustrations de Druillet, Retour à Bakaam, sur un grand format. Mon intention était de continuer. C’était à l’époque où je travaillais avec le Masque fantastique. La fin de la collection m’a coupé dans mon élan. Je traduisais Kotar et Thongor de Lin Carter, donc, j’étais dans l’ambiance.

P. Louinet : Et tu es dans une nouvelle que j’écrivis il y a très longtemps. Mais que personne n’a jamais lu. C’était un pastiche howardien qui tentait de respecter le style de l’auteur. Deux personnages faisaient des incantations devant une statue : Glenn Lord en roi picte, et François Truchaud. Ils essayaient de réveiller la statue avant de se faire massacrer… Un peu avant de l’écrire, je t’ai envoyé une lettre où je disais : « François, peux-tu me donner l’autorisation de te tuer dans une nouvelle ? » C’était un hommage à Robert Bloch qui, lui, a tué Lovecraft. J’ai toujours la réponse, très formelle, avec une signature pas possible !

C’est ainsi que s’achève le Howard Day 2016 au festival des Mondes de l’Imaginaire, organisé par Patrice Louinet et David Camus, grand traducteur d’HPL que nous vous avons présenté précédemment. L’équipe de l’antre du poulpe, Poulpy et tiny-Conan (la peluche) tiennent à remercier tout le monde pour ce glorieux jour qui restera dans les mémoires et qui, n’en doutons pas, perdurera chaque année grâce à la dévotion des passionnées de Robert E. Howard. Alors, à l’an prochain bande de poulpes ! Avant cela, nous pourrons nous rendre une nouvelle fois sur Paris, et à nouveau sur Lyon, pour la prochaine Necronomi’con organisée par AoA Prod. Il est à présent temps de quitter notre poste et de boire à la santé d’un formidable écrivain. La bière semble être la boisson idéale, et elle nous est fournie par My Red ! Une cuvée spéciale REH !

VII. À la nouvelle génération

(par un poulpe de même pas 25 ans)

Poulpy n’appartient pas à cette génération qui découvrit Robert E. Howard grâce aux éditions NéO, aux comics, ou même au film de John Milius. Nous, nous classons cette dernière œuvre dans le dossier « films de vieux », et nous nous y intéressons une fois l’adolescence bien tassée (du moins, c’est le cas du cinéphile que je suis). Bon, les comics, on en a vu des pubs, et même lut quelques un. Le reste, mais kézako ? Il faut nous expliquer. Ah, cela me fait bien rire, tous ses arguments de vente concernant Conan, le héros soi-disant destiné à un public de boutonneux (et de garçons !). Conan, pour nous, c’est une figure omniprésente de la culture geek. Il peut porter d’autres noms : Riddick, le barbare interprété par votre pote rôliste… Les Conan sont les hommes se dressant contre une autorité omniprésente pour renverser les dictateurs et amener à un renouveau de la société, une période anarchique plaisant à l’ado souhaitant s’émanciper, mais aussi au jeune révolutionnaire de la génération Y qui ne supporte plus les aléas d’une crise contraignante. Mais Conan, il ne le fait pas exprès. Il vit sa vie comme il l’entend. Et ça, c’est la liberté à laquelle nous voulons tous gouter. Nous, nous ne voulons pas camoufler le barbare qui sommeille en nous en enduisant notre face de couches de maquillage. Nous, nous nous trouvons dans une période de révoltés. Et Conan, il peut être le catalyseur de notre haine, ou bien l’incarnation de notre volonté.

11_afficheSi les soixante-huitards avaient connus Conan, ce « héros » aurait peut-être conquis un plus large public. Mais il est arrivé après. Ballot. Si vos grands-parents l’avaient découvert, peut-être se serait-il popularisé et ne serait pas « le truc que papa a mentionné ». Parce que, pour découvrir Conan de nos jours (et je ne parle même pas des autres héros howardiens !), il faut se passionner pour un certain domaine : celui de la littérature de l’imaginaire… Tout en snobant les auteurs classiques que nous avons peut-être (pour les chanceux) découverts au collège. Il faut le vouloir ! J’aime écouter les anciens et les « Grands Anciens » (quand je dis anciens, je veux bien sûr parler de ceux approchant la quarantaine, c’est vieux, pour nous, les jeunes) lorsqu’ils se justifient de leur passion : « non mais Conan, c’est pas un bourrin qui bute le monstre et pécho la meuf, c’est hyper complexe ». C’est vrai ! Lisez, vous comprendrez. Mais cette justification, elle ne va bien que pour les vieux (ouais, vous pensez peut-être que j’insulte, mais c’est un compliment : gros, j’aime pô les jeunes). Conan, Kull, Solomon Kane… Bref. Eux, ce sont des philosophes. Et nous, nous aimons analyser les textes et les situer dans leur contexte (ou le nôtre). C’est aussi comme ça que la génération Google s’entiche d’une œuvre : nous voulons aller plus loin, nous en avons les moyens. Le public auquel j’appartiens, les geeks, découvre Howard par le biais de Lovecraft (pour les lecteurs curieux), les autres, par le jeu de rôle et ses codes. Là encore, rien de nouveau. À part que ces domaines là ont prit de la bouteille. Ils deviennent respectables. Conan, par la force des choses, est respectable.

Oui, c’est essentiel, les hommages. Mais pour nous, vous, les vieux, vous êtes vous même des témoins d’un temps plus joyeux. Nous aimons suivre vos aventures où plaisanter de vos passions pour ses choses très étranges que sont les jeux, les BD, les livres… Pas à cause d’un « father complex », ou je ne sais quoi (qu’en sais-je), mais bien parce que là, maintenant, plus que jamais, nous avons besoin d’oublier la noirceur du monde si accentuée. Nous aimerions retourner à un temps plus simple, un temps de camaraderies, dont nous avons un aperçu lors d’évènements comme le Howard Day. Mais nous avons aussi besoin de découvrir que nos envies, nos opinions, sont partagées. Que nous pouvons aller plus loin dans nos raisonnements. C’est aussi pour cela que des auteurs comme R.E. Howard sont importants. Lui, il est passé par tout plein d’épreuves qui nous sont familières : crise éco, relation amoureuse tragique (qui n’en a pas eu) ? Nous le comprenons, en partie. Du moins j’aime à le penser. Et vous, vous nous comprenez. Vous êtes passés par là. Craignez-vous que tous vos efforts pour partager vos passions soient vains, qu’ils ne se cantonnent qu’à la reconnaissance d’une génération ? C’est le risque à courir. N’avons-nous pas déjà subi des pertes ? Qui, maintenant, là, peut se procurer les ouvrages d’auteurs que vous pouviez facilement découvrir en vous rendant à la Fnac ? Face à l’abondance d’écrivains, les anciens périclitent. Le marché est envahi par les dérivés de vampires et de narniardises… Ce ne sont que des exemples. La tragédie Howard se reproduit : les originaux s’oublient. Vite ! Transmettez-nous vos savoirs, et tâchons d’en sauver le maximum !

Mais tout n’est pas si tragique. J’ai remarqué que, le temps passe, et les collectionneurs sont de plus en plus nombreux. Surement parce que nous prenons plus rapidement conscience de la finalité de toute chose… C’est le problème de l’évolution. Elle accélère et nous, nous sommes vite largués. C’est pourquoi nous retournons aux sources. Alors il est probable que des écrivains tels Robert E. Howard aient encore de longues années devant eux. À moins qu’un cataclysme n’ait lieu et qu’il nous faille tout recommencer… La journée Howard, c’était génial. Il faudrait aller plus loin. Y ajouter un peu de jeunesse parce que, vous, les vieux, vous êtes super cools et plus festifs que nous, mais je crains que le précipice entre vous et nous s’agrandisse. Car l’âge, finalement, c’est dans la tête (comme disent les biens plus vieux que vous). Ce que nous devons comprendre, c’est que, qu’importe la génération, celle de François Truchaud, de Patrice Louinet, nous avons tous un Conan intérieur qui rugit en nous. Et il est bon de le faire jaillir, par Crom ! Finalement c’est nous, les chiards, qui devrions nous élever à votre niveau. Et vite ! Nous savons que la dégénérescence de la société est un thème présent dans bien des histoires de R.E. Howard et de ses potes. Alors s’il y a un temps pour les incruster dans l’Histoire, c’est maintenant. Pendant que nous le pouvons.

Et pour finir, un méga compte-rendu tout en textes, photos et vidéos
par Argentium Thri’ille sur robert-e-howard.fr!

Un super article, de belles images de l’exposition, comme s’y vous y étiez,
les conférences ont été filmées et on aperçoit même votre poulpe…

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N’oubliez pas de revenir nous voir pour de prochaines chroniques littéraires ;)

Un grand poète est plus grand que n’importe quel roi.

— Conan. (in. Le Guide Howard, Patrice Louinet)

Poulpy.

A propos poulpinounet

Poulpy, c'est un poulpe à tout faire. Il se doit de disperser ses tentacules sur plein de supports... Ce poulpe est graphiste (donc masochiste), il parle de lui à la troisième personne (sérieux ?), est reporter (surtout), et critique. Minimoi s’essaie donc à au dessin, à la photo, et aussi : j’écris (un peu). Mes dessins font place à des montages, les montages à des textes, des histoires, des articles... Blogueur invétéré, Poulp(inounet) ne fait pas que promouvoir la culture, il crée également ses propres œuvres, pour lui comme pour d'autres.
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