Howard Day, partie 1

The Howard Day
Au festival des Mondes de l’Imaginaire de Paris

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                     Liberté, liberté !
                                          Que la liberté soit sur moi !
                     Car plutôt que de vivre en esclave,
                                          Je préfèrerais aller dans la tombe
                                          Et monter vers mon Créateur, libre !

                     — R.E. Howard à H.P. Lovecraft, extrait tiré de
Le guide Howard —
traduction de Patrice Louinet.

Tout ce dont vous aviez besoin de savoir avant de vous rendre au Howard Day ici.

Loin est Cross Plains, lieu de vie de Robert Ervin Howard et location des fameux Howard Days Américains. Mais, grâce à Patrice Louinet, ceux-ci ont désormais leur (petit) équivalent français. Par Crom ! Cette édition méritait le déplacement ! Les activités cérébrales et ludiques se mariaient pour le plaisir d’un public à la fois néophyte et fanatique… La bière Howard : délicieuse. Les conférences : passionnantes. L’exposition : sublime. Les stands : bourrés de trésors à piller.

Mais qu’est-ce que le Howard Day, me diriez-vous ? Voici, pour les anglophones, le site officiel de cette journée célébrée dans le lieu de vie de Robert E. Howard, tous les ans, les jours suivants l’anniversaire de la mort de ce fameux écrivain. Vous pouvez entre autres visiter le musée installé dans sa maison et rencontrer de prestigieux spécialistes « howardiens » :

« Le Howard Days est un rassemblement annuel. Ce n’est pas un rendez-vous d’érudits, mais surtout un évènement convivial où l’on célèbre Howard avec quelques conférences et des invités venant de tous les États-Unis, d’Europe, et même du Japon. On passe du bon temps, on dine, on boit quelques verres… Nous y célébrons l’amour que nous portons à cet auteur. » – Patrice Louinet.

La première édition française du Howard Day eut lieu au Dernier Bar avant la Fin du Monde en 2014. Tests du jeu de plateau Conan à l’occasion du lancement du Kickstarter, exposition d’objets rarissimes appartenant à REH (tirés de la collection personnelle de P. Louinet) et de planches de Gregory Manchess, l’illustrateur du troisième volume dédié aux aventures de Conan (disponible aux éditions Bragelonne), conférences, dédicaces… Le débriefing de la journée est à découvrir à cette adresse. Marcelo Anciano, dirigeant de Wandering Star qui publia l’intégrale des nouvelles de R.E. Howard dans de prestigieuses et fidèles éditions, fut l’un des invités. C’était la première fois que Patrice Louinet se retrouvait aux côtés de ces éditeurs américains depuis que ceux-ci l’avaient contacté afin qu’il réunisse l’intégrale des nouvelles de Conan le Cimérien (il y a dix ans).

01_affiche

Organiser des Howard Days français est une idée qui a déjà plusieurs années. « Les premières éditions datent de 2006-2007. Au départ, nous nous sommes réunis avec une bande de copains (nous étions six) pour manger dans une sorte de restaurant mexicain qui faisait de la nourriture chinoise… Nous avons ensuite eu l’idée d’en faire un véritable événement, ce qui a duré pendant au moins trois ou quatre éditions avant de sommeiller. » déclare Patrice Louinet, qui avait entretemps créé avec Argentium Thri’ille le site robert-e-howard.fr/. « Ce fut l’occasion de concevoir de nouvelles journées Howard. » Ce nouvel événement n’est pas important en terme d’actualité, ajoute-t-il, puisqu’il s’agit d’un Hommage aux Grands Anciens, aux pionniers français de Robert E. Howard des années soixante-dix et quatre-vingt. « François Truchaud, Jean-Michel Nicollet, Jean-Pierre Dionnet sont des “défricheurs”, grâce à qui nous avons pu découvrir Howard et d’autres auteurs. Notre travail est plus facile aujourd’hui grâce à eux. »

Cette nouvelle édition du Howard Day est, pour Patrice Louinet, l’opportunité de réunir tout un monde autour d’importantes figures qui marquèrent sa jeunesse et qui furent à l’origine de sa passion pour REH. David Camus lui demanda d’inscrire cette journée dans le cadre du festival des Mondes de l’Imaginaire. Ce qui lui était idéal pour des questions pratiques. P. Louinet tient à féliciter toute l’équipe. Et, à présent qu’il fait officiellement partie de l’association gérant le festival, cela inscrit cet évènement dans leur calendrier annuel ! Vous l’aurez compris, les Howard Days se professionnalisent et gagnent en respectabilité.

I. Un bref retour par Poulpy et Conan

Il faut l’avouer, le festival des Mondes de l’Imaginaire n’est pas aussi grand que nombre d’autres salons parisiens. Et pourtant, pour cette seconde édition, nous pouvions voir, parmi les invités, des prestiges et des célébrités ainsi qu’une foule de passionnés. Tous les ans, ce salon accueillera des Howard Days aux thèmes à chaque fois différents. Nous pourrons croiser de fantastiques howardiens, tels les membres du forum francophone dédié à Robert E. Howard, mais aussi quelques lovecraftiens… Il semble qu’ils ont la particularité de s’immiscer lors de nombreux évènements… Ainsi, en dédicace sur le stand de la librairie Gilbert Joseph, nous avons pu revoir Nicolas Fructus (Mélanie Fazy et Raphaël Granier de Cassagniac n’étaient présents que le samedi) qui dédicaçait son nouveau livre, Jadis. Cet ouvrage était à l’honneur et eut droit à sa bière spéciale à la rhubarbe ! À déguster avec la bière Howard conçu par la micro-brasserie My Red, dont je vous parlais précédemment. Le poulpe a donc pu récolter une magnifique dédicace qui orne désormais son exemplaire de Kadath, le guide de la cité inconnue au côté des signatures de M. Fazi et de D. Camus (un superbe livre, vraiment). David Camus est l’un des organisateurs du festival, et Christophe Thill, remplaçant Joseph Altairac pour une conférence, y tenait le stand Malpertuis, situé à côté de celui d’un autre de nos partenaires : les éditions Luciférines. Paris a beau être une grande ville, nous y croisons souvent des visages connus.

02_malpertuisCi-dessus, une rencontre inattendue…
HPL 2007 aux éditons Malpertuis, une anthologie dirigée par Christophe Thill.

Pour compléter ce tableau, le beffroi de Montrouge accueillait également un évènement qui aurait plu à Dom le conquérant, notre figuriniste attitré (le site de cette réunion, l’article consacré à ses jeux). Mais, comme vous le savez, nous n’étions pas là pour couvrir le festival des Mondes de l’Imaginaire, uniquement le Howard Day de Patrice Louinet. C’est pourquoi, après ce rapide passage parmi les exposants, nous nous sommes focalisés sur notre tâche en photographiant l’exposition de Jean-Michel Nicollet. Il exposait les originaux de ses couvertures howardiennes réalisées pour les éditions NéO : de magnifiques peintures à l’acrylique dont vous aurez un petit aperçu… Puis nous nous sommes rendus aux conférences (qui vous seront retranscrites en intégralité) et avons alterné avec des interviews de chaque invité. Et oui, même du grand François Truchaud, c’est pour dire ! Nous nous sommes fait offrir une bière Howard (une IPA limitée à 150 exemplaires !) et avons rapidement observé une partie du jeu de plateau Conan de Monolith, doté de magnifiques figurines. Il s’agit encore d’un prototype, mais je peux vous dire qu’il en jette. Le créateur, Frédéric Henry, fut l’invité du Howard Day de l’an dernier. Vous pouvez découvrir une description de son jeu sur le site trictrac et sur robert-e-howard.fr.

Pour compléter cette journée entrant d’ors et déjà dans les annales des rencontres howardiennes françaises, on me convia à prendre un verre en terrasse avec la fine équipe du fandom français de Robert E. Howard. Finir cette rencontre en trinquant avec François Truchaud fut un instant mémorable. Je n’ai jamais été mieux accueilli que durant le Howard Day, et je tiens à remercier tous ceux qui y ont participé, tous ceux qui s’y sont rendus. Vivement l’an prochain et, avant cela, la Necronomi’con Lyonaise où, j’en suis certain, nous retrouverons nombre d’amis. En parlant de cela, cet article sera construit à l’image de celui réalisé lors de la Necro’ (voyez en cliquant juste ici), où nous avons eu l’occasion de rencontrer quelques personnalités citées ci-dessus. Alors, faisons les choses correctement, et commençons par présenter l’homme qui se trouve derrière cette journée Howard. Journée chaleureusement accueillie par des fans de REH lors d’un festival assez intimiste et ayant lieu dans un magnifique bâtiment art déco (de ceux que nous ne trouvons qu’à la capitale). Poulpy et Conan, la nouvelle mascotte en peluche, présentent…

II. Patrice Louinet, Celui qui respire Howard

Patrice Louinet, interviewé lors de la Nécronomi’con au sujet du maitre de Providence et de ces rapports avec le Texan (c’est ici), dont je vous ai parlé dans l’article Avant d’aller au Howard Day, est essayiste, directeur de collection, traducteur, anthologiste et, en plus d’être le président du fanclub français de R.E. Howard, est co-directeur de la Robert Ervin Howard Foundation. Il est également auteur du guide Howard paru chez ActuSF. Ce livre passionnant était disponible pour des dédicaces aux côtés des volumes Bragelonne. Nous regretterons le fait qu’il n’y pas eu de livres howardiens dans les autres stands (j’aurais bien aimé en grappiller). Mais je suis sûr que les visiteurs auront remarqué les quelques exemplaires rarissimes appartenant à la collection privée de P. Louinet…

03_louinetCi-dessus, Patrice Louinet et son magnifique exemplaire de Weird Tales datant de décembre 1932.

Le guide Howard est un important livre introductif à l’œuvre de Robert E. Howard qui, nous dit-on dès les premières pages, est au sujet de l’homme, de l’œuvre, et non d’un héros particulier. Seule étude de ce genre que l’on puisse trouver en France, sa parution s’inscrit en plein renouveau de l’intérêt du public pour les nouvelles du « Texan ». Une telle période est souvent synonyme de réappropriation, de déformation des opinions de l’auteur. En revenant sur les idées reçues que nous nous faisons de R.E. Howard (et de Conan), Patrice Louinet recontextualise des éléments de la vie de REH (un sujet abordé dans l’introduction à ce reportage) et explique en quoi ses nouvelles ont de l’importance en sélectionnant des textes indispensables à la compréhension de l’esprit howardien. S’adressant à des néophytes, Patrice Louinet nous présente un auteur pas si machiste que nous pourrions le penser en lisant certains comics, pas si misérable que nous pourrions nous l’imaginer en nous basant sur des témoignages mensongers… Un écrivain aux œuvres certes divertissantes, mais toutefois très réfléchies. Un homme à la fois historien et prêt à mêler fiction, pseudo-histoire et réalité dans des récits renouvelant les codes d’une époque puritaine où les écrivains étaient tenus de respecter un schéma très hollywoodien dans la confection de leurs scénarios et de leurs héros.

Le créateur de Conan ne se résume pas à un génie ayant contribué à définir les bases de la fantasy moderne. C’est également un amateur de boxe, de western, qui a su profiler l’antihéros et les « histoires nihilistes » tant à la mode de nos jours dont la création est faussement attribuée à quelques scénaristes contemporains. Patrice Louinet présente un Bob Howard partiellement connu du public français. Grâce à ce livre, mais aussi avec une série d’introductions et de dossiers que nous pouvons trouver dans les rééditions de son œuvre aux éditions Bragelonne. Nous vous avions parlé de son travail de chercheur, et bien nous en avons un aperçu dans Le guide Howard. Notamment dans le chapitre consacré à la biographie de R.E. Howard qu’il a conçu d’après ses propres découvertes et celles de Rob Roehm, autre spécialiste de notre Texan. Le guide Howard est une étude critique faite par un parfait puriste cherchant à rétablir la vérité sur cet auteur, lui étant fidèle au plus haut point et partageant ses opinions que nous savons libertaire.

Si les héros howardiens nous apparaissent à présent comme des figures classiques des récits d’aventures, ils étaient pourtant très atypiques et révolutionnaires du temps de leur création. Howard est donc un inventeur, un génie en avance sur son époque que le public comprendra donc tardivement. C’est un anticonformiste possédant un grand humour, charmant, juste, mais ne mettant en scène que la noirceur de la civilisation qui abjure. Howard n’est pourtant pas Conan, ne se résume pas à Conan (nous l’avons vu), même si le barbare a une grande importance dans ses textes (pas par le nombre de ses histoires, mais par ce qu’elles démontrent). Ainsi Patrice Louinet dédie un long chapitre au Cimmérien. L’engouement pour le héros favori des fans américains (fait démontré dans le livre de Paul M. Sammon, traduit et facilement trouvable en France) est ainsi décrit par l’auteur du guide Howard dans une interview pour le site ActuSF : « les périodes de succès de la Fantasy sombre, sur un plan plus général, épousent parfaitement les contours des époques de crise d’une société. La fantasy telle que Howard l’écrit n’offre pas véritablement une “évasion” de notre monde ; au contraire, elle déguise à peine les noms des peuples et des pays pour nous plonger dans sa fange. Pas de manichéisme, pas de nobles et belles causes, pas de “happy end”. L’existence humaine y est décrite comme absurde, au sens philosophique de ce terme. »

04_dedicaceCi-dessus, Patrice Louinet dédicaçant un mystérieux Bragelonne.

Patrice Louinet favorise également Conan à cause de l’énorme travail qu’il réalisa pour Wandering Star. Son projet était de publier intégralement les nouvelles originales dans leur ordre de rédaction. Ce qui, nous l’avons vu, a donné vie aux superbes éditions Bragelonne que nous connaissons. Anecdotes et explications au sujet des parutions howardiennes et de celles de son cercle, mises en garde sur toutes sortes d’adaptations des nouvelles de Howard, qui transmettent souvent un message erroné de son œuvre, Patrice Louinet ne délaisse aucune facette. Après s’être intéressé à l’avènement d’Howard en Amérique puis à la correspondance entre HPL et REH (voir l’introduction. Ce dernier chapitre mérite à lui seul l’achat du guide !), P. Louinet nous renseigne sur les ouvrages à connaître. Par rapport au nombre d’essais lovecraftiens existants, la production française nous paraît bien minime. Nous pouvons tout de même découvrir de magnifiques ou/et importants ouvrages, tels que Échos de Cimmérie de Fabrice Tortey ou encore les parutions des Moutons Électriques. Tout un programme qu’il nous tarde de découvrir ! Et, avec un jeu de rôle Conan et un somptueux jeu de plateau, nous pouvons envisager un public de plus en plus nombreux aux prochains Howard Days de Patrice Louinet… Oui, Robert Ervin Howard est à la mode.

Robert E. Howard mélange la violence et la poésie dans des histoires à couper le souffle de Celui qui respire Howard. C’est ce souffle de liberté, celui plein d’ozone qui emplit nos poumons lorsque nous atteignons enfin le sommet et que le panorama des terres sauvages se dévoile sous nos yeux. Robert E. Howard est, comme ses héros, un personnage incompris. Ambassadeur howardien, Patrice Louinet est le héraut que ce pays attendait. Celui qui saura donner à Howard un trône tant mérité, même si les ambitions du Texan ne sont pas aussi grandes que celles de ses fans à la dévotion sans borne. R.E. Howard mérite notre respect au même titre que ses confrères, H.P Lovecraft et Clark Ashton Smith. Conan est la façade par laquelle nous connaissons tous Robert E. Howard. Ce fort archétype est sans contexte une figure primordiale d’un type de récit revenant sur le devant de la scène. Il est temps, nous dit P. Louinet, « de débroussailler l’arbre Tolkien qui a longtemps masqué la forêt de la Fantasy » (cf : syfantasy.fr), mais aussi de dépasser Conan pour découvrir les poésies, les récits « historiques », humoristiques et toutes les passions de R.E. Howard. « Ses récits peuvent parfois sembler simples en surface, mais pour peu qu’on gratte le vernis, on s’aperçoit que les meilleurs d’entre eux sont d’une complexité redoutable. » Patrice Louinet a découvert le Texan qui forgera son existence grâce à un comics Marvel traitant de Conan et, depuis ce jour, n’a pas cessé de s’imprégner de l’imaginaire de R. E. Howard.

Contrairement à son écrivain favori qui se lasse de ses héros, il ne cessera de lui vouer sa vie et son œuvre. Mais a-t-il des projets littéraires personnels ? « Je n’ai pas l’âme d’un écrivain mais, pour moi, écrire des essais, des critiques, des biographies, est une œuvre créatrice », déclare-t-il. Malgré la difficulté de traduire les récits humoristiques de REH, c’est un projet en cours, un défi, pour Patrice Louinet. La correspondance de Robert E. Howard est toujours en projet puisqu’il s’agit d’éditer d’épais volumes très couteux. Et, hormis la thèse toujours en préparation qui devrait être terminée l’an prochain, un documentaire est toujours en gestation. Un gros, énorme, projet qu’il ne m’est pas donné de vous révéler est à prévoir. Je vous assure que vous n’en croirez pas vos yeux, j’ai moi-même du mal à digérer cette information super secrète méga Awesome ! Mais chut. J’en ai peut-être déjà trop dit…

05_dessinCi-dessus, quelques croquis faits pendant les conférences… et Conan !

Ma génération à une vision différente de Robert E. Howard par rapport à la précédente qui privilégiait l’aventure épique aux critiques de son auteur vis à vis de la société. Patrice Louinet en est la cause principale. « L’œuvre de Howard à tellement souffert d’une mauvaise réputation, celle du créateur d’un barbare décérébré, que dans mes préfaces, dans mes appareils critiques, dans mes bouquins, j’ai assez privilégié l’aspect sérieux de ses histoires. Pour moi, Howard est un auteur certes divertissant, on prend beaucoup de plaisir à le lire, mais c’est aussi quelqu’un qui avait des choses à dire. » L’angle d’approche, de nos jours, est également différent. Nous n’abordons plus forcément Howard via Conan mais via Lovecraft, ce qui n’est pas une approche récente, mais plus accentuée. « Ce qui est sûr », nous dit Patrice Louinet, « c’est que Lovecraft à eu la chance d’avoir pas mal de produits dérivés plus ou moins respectueux de son œuvre. De nombreuses personnes en ont profité pour découvrir les écrivains qui gravitaient autour de cet auteur ».

Lors de ce Howard Day Patrice Louinet a conféré une place importante aux éditions NéO, les premiers à publier les nouvelles de R.E. Howard en France. Mais ses traductions sont tirées de textes remaniés par un certain Lyon Sprague de Camp, qui a brillamment su dénaturer les œuvres de tout écrivain passant entre ses griffes. Patrice Louinet dégage la « sage, bêtifiante et simpliste vision américano-capitaliste » de de Camp vis-à-vis de Conan pour que le public ne voit plus dans ce personnage un « barbare étranger qui débute dans la vie pauvre et voleur pour finir puissant roi d’un pays civilisé », mais un personnage tiré d’une œuvre « marquée d’un pessimisme profond, qui se termine, non avec un Conan puissant roi, mais avec des récits sombres et nihilistes » (cf : cafardcosmique.com). Les anciennes traductions françaises de ses nouvelles ne sont pas aussi fidèles aux manuscrits originaux qu’elles le devraient. C’est un problème récurrent des vieilles maisons d’édition qui n’employaient pas des traducteurs à même de comprendre les textes qu’ils retravaillaient et qui coupaient certains passages afin de conformer l’histoire à un format bien défini (nous en avions parlé lors des conférences de la Nécronomi’con). Cependant les éditions NéO sont respectueuses des auteurs qu’elles éditaient, vendant de beaux ouvrages témoins d’une époque où le récit d’imaginaire et d’aventure était très en vogue. Robert E. Howard à lui-même connu le succès de son vivant. Figure primordiale du pulp magazine, il est bon de parler de ce type de littérature :

Comme vous le savez, Robert E. Howard publiait bien souvent dans le magazine Weird Tales, le premier pulp entièrement dédié à tout ce qui est imaginaire et qui a démarré en 1923. Le pulp, nous expliqua Patrice Louinet, tire son nom du papier sur lequel la revue est imprimée, qui est de la plus mauvaise qualité possible. C’est de la littérature qu’on prend, qu’on consomme, qu’on jette, dit-il. « Weird Tales était une véritable petite révolution sur le marché, mais qui n’était pas financière, car les premiers magazines étaient très mal distribués et les auteurs étaient mal payés. Les revues sont très difficiles à se procurer aujourd’hui, elles coutent très cher. Heureusement qu’une firme canadienne les a rééditées en fac-similé. Ce magazine a un niveau abyssal. […] quand H.P. Lovecraft arrive à Weird Tales, il devient la vedette du magazine et va se constituer un petit noyau de personnes qui vont trouver que tout ce qu’il écrit est absolument génial. » Puis arrive Howard, qui possède la capacité d’écrire ce qu’il lui plait tout en « sachant se vendre ». Si les Weird Tales sont encore trouvables de nos jours pour le collectionneur aguerri, beaucoup de pulps dans lesquels étaient édités les histoires de boxe d’Howard ont aujourd’hui disparus…

06_programmeCi-dessus, ma mascotte Conan et le programme originel des conférences de ce Howard Day.

Parmi les invités de ce Howard Day se trouve Jean-Michel Nicollet, l’illustrateur qui sut marquer les esprits des fans de ce type de littérature populaire en France grâce à ces illustrations de couverture. En Amérique, Frazetta a ce rôle. Il a su « mystifier » Conan tandis que Nicollet s’ingéniait à représenter des personnages hauts en couleur tels de Kull, Solomon Kane, Steve Costigan et bien d’autres figures aussi passionnantes que notre Cimmérien. François Truchaud, mentor de Patrice Louinet, est un autre invité qui a propulsé P. Louinet dans le monde de R.E. Howard en lui faisant découvrir ses œuvres et en l’introduisant à des personnalités telles que Glenn Lord, celui qui a notamment publié les poèmes de Howard et a grandement contribué aux recherches sur sa vie et ses textes. L’hommage à François Truchaud en dit long sur l’amitié qui le lie à Patrice Louinet, que ce dernier décrit ainsi : « François Truchaud, je lui dois tout. C’est lui qui m’a fait découvrir Howard, qui m’a hébergé la première fois que je me suis rendu à Cross Plains, qui m’a mis en relation avec Glenn Lord et Robert Bloch, qui a été le premier à répondre à mes interviews… J’ai une dette incalculable envers cette personne. À travers mon hommage, je le remercie pour tout, car je pense qu’il est mieux de faire cela aujourd’hui plutôt que de façon posthume. » En effet, mieux vaut en profiter au lieu de se contenter de rédiger une superbe préface, par exemple !

Patrice Louinet a eu la chance de rencontrer beaucoup de ses idoles. « J’ai la chance d’être, au fond de moi, toujours un fan. J’espère que ma passion pour différents auteurs et artistes que je côtoie aujourd’hui se voit toujours. Quelque part je me sens toujours privilégié de pouvoir les voir et je me sens comme un gamin face à ces gens-là. »

C’est après avoir écrit à Glenn Lord que Patrice Louinet s’est rendue au Texas. Il le rencontra alors dans le cadre de la préparation de son master sur R.E. Howard. Depuis ce jour il se rend régulièrement à Cross Plains. Il fut même l’invité d’honneur des Howard Days en 2014.

« La première fois que je me rendis à Cross Plain, que je me recueillis sur la tombe de Robert E. Howard, ce fut assez émouvant. C’était un grand moment quasi religieux. » Si Patrice Louinet n’a pas (à notre connaissance) croisé son fantôme lors de ses visites, nous voulions savoir ce qu’il pourrait lui dire si jamais il lui apparaissait. « Je parle sans arrêt à Howard. J’espère qu’il est content du travail que je réalise depuis pas mal d’années maintenant. Ce qui est cool avec lui, c’est qu’il est abordable. C’est une personne avec qui il est possible d’aller boire une bière et de causer. Avec Lovecraft, ce serait beaucoup plus compliqué… » Nous avons donc participé à un hommage très important pour tous ceux qui, un jour, ont rêvé de Robert E. Howard, ce sont attristés de ne pouvoir le rencontrer, lui parler. Ce qui arrivera peut-être un jour, qui sait. D’ici là, nous avons nos propres idoles, bien vivantes, qu’il nous faut remercier et ne jamais oublier.

07_trioCi-dessus de gauche à droite, Jean-Michel Nicollet, Patrice Louinet et François Truchaud.

« Pour moi, la Fantasy est l’autre face de la Science-Fiction. Dans les deux cas, l’action prend place dans un univers où les éléments extra-ordinaires sont choses connues et acceptées des protagonistes. (A la différence des récits fantastiques, par exemple, où l’apparition du surnaturel va provoquer incrédulité et stupeur). La Fantasy est le pendant non-technologique de la Science Fiction. On peut y trouver des trolls ou pas, des sorciers ou pas, une ambiance moyenâgeuse ou pas, peu importe. C’est donc un domaine particulièrement large dont les seules frontières et limites sont celles de l’imagination […] La Fantasy et la SF ne sont rien d’autre qu’une des deux façons d’aborder la littérature, c’est-à-dire soit dans le mode réaliste, soit dans le mode imaginaire. […] Et à l’intérieur de ces deux genres, toutes les variations sont possibles. » – Patrice Louinet pour le site scifi-universe (magnifique interview recommandée par votre poulpe préféré).

III. Les Invités prestigieux du REH Day

Jean-Michel Nicollet, dont voici le parcours sur yozone.fr, fût l’illustrateur des Conan parus aux éditions Lattès avant de s’occuper du design des couvertures de la collection Fantastique, Science-Fiction, Aventure de NéO (où il eu l’opportunité d’illustrer d’autres recueils de Robert E. Howard). Ses peintures à l’acrylique ont marqué toute une génération de lecteurs et c’est pourquoi il fut des nôtres en ce week-end où quelques-unes de ces plus belles œuvres furent exposées. S’il enseigne à présent à Émile Cohl, il n’a toutefois pas perdu sa passion pour les univers fantaisistes et épiques. Une importante conférence eut lieu à propos des éditions NéO, où l’on parla notamment des préfaces des livres consacrés à R.E. Howard (disponibles au lecteur curieux à cette adresse).

Les Nouvelles Éditions Oswald, créées par Pierre-Jean et Hélène Oswald (voir l’article introductif) publièrent des fictions anglophones sous la fidèle traduction de François Truchaud, invité d’honneur de ce Howard day. Collègue de Jean-Michel Nicollet depuis leur collaboration chez Lattès pour les publications françaises de Conan, il fût considéré comme LE spécialiste français de REH avant de passer la relève à son ami Patrice Louinet. En quinze ans, trente-sept livres dédiés à Robert E. Howard ont été publiés par NéO. Ses ouvrages comportaient parfois des nouvelles inédites fournies par Glenn Lord en personne ! « François Truchaud parvint à convaincre le public français de lire Howard. Tout Howard, qu’il s’agisse de ses récits fantastiques tout autant que ses récits de boxe, ses aventures orientales, ses écrits historiques, etc. Cela grâce à une impeccable retranscription du rythme effréné et de la fougue littéraire de Two-Gun Bob », nous explique Patrice Louinet sur le site francophone de REH. Et voici ce qu’il ajouta au sujet des dites préfaces :

08_terrasseCi-dessus de gauche à droite, JM. Nicollet, P. Louinet et F. Truchaud en terrasse.

« Ces petits bijoux littéraires (comme dirait Desproges) constituaient le passage obligé – voire impatiemment attendu – de tout nouveau recueil howardien. Dans ces textes de deux ou trois pages, on en découvrait plus sur l’auteur derrière les textes, sur les aventures éditoriales des manuscrits, sur les motivations qui poussèrent Howard à aborder tel ou tel genre. A grand renfort d’anecdotes et de références au cinéma, à la peinture et aux autres auteurs fantastiques, François Truchaud communiquait un incroyable enthousiasme – quitte parfois à sur-vendre – certains écrits vraiment pas à la hauteur de ses envolées – dans un style toujours très fluide, pétri d’humour et jamais ampoulé ou pédant. » – Cf. robert-e-howard.fr.

François Truchaud a, comme bien d’autres dans les années soixante-dix, connu Robert E. Howard avec Conan. Comics, film… Lui s’est fait fan de Frank Frazetta, l’artiste qui réussit à donner un visage au Cimmérien et à le faire passer à la postérité. Bilingue, il commença à lire les Conan en anglais et fut, raconte-t-il sur le site des Chroniques de Némédie, « tout de suite impressionné par le rythme de la narration, la rapidité du récit, la présentation des personnages, le décor installé dès les premières pages, et le personnage de Conan, bien sûr ! Howard était un conteur né, un fabuleux créateur d’images. » François Truchaud a su faire connaître tous les personnages de R.E. Howard en France dans de belles traductions « cernant l’homme et suivant sa démarche au cours des années, sa recherche de nouveaux “débouchés”, ses réussites et ses échecs, jamais découragé et toujours passionné, désireux de vivre ses rêves. »

S’il n’a pu traduire les biographies de Howard, dont One Who Walked Alone écrit par Novaline Price, l’une des compagnes de l’auteur, ou bien la correspondance entre HPL et REH, c’est à présent à Patrice Louinet que revient le devoir de transmettre ses œuvres au public français. Dans ce même article (cité précédemment), François Truchaud parle de son expérience pour les éditions NéO : « Ce furent dix ans de bonheur absolu, d’enthousiasme et de passion ». Comme Howard, François Truchaud se sent habité par les héros qui sortent de sa plume, transformé par sa propre façon de les concevoir, et par REH en personne. Mais n’exagère-t-il pas, à la manière du Texan, lorsqu’il nous parle de son travail ? Qu’importe, la passion est évidente.

09_conferenceCi-dessus. Préparation à la conférence NéO avec le trio diabolique…

Pour lui, « Howard a créé un monde à part, fascinant et envoûtant. La magie du verbe et de la création. Dès les premières lignes, j’étais emporté par son rythme, son inventivité, sa création, et j’étais transporté dans un autre univers jusqu’à la fin du livre. Peut-on parler de “traduction automatique” comme on parle d’écriture automatique ? J’avais souvent l’impression que Howard était à côté de moi quand je tapais mes traductions, que nous plaisantions ensemble, ravis de ses “trouvailles” de narration, de sa multitude de personnages, partageant le même plaisir de l’écriture et de l’imaginaire. J’avais souvent du mal à “redescendre sur terre”. Je n’avais encore jamais éprouvé un tel plaisir à traduire un auteur, à découvrir l’homme derrière ses écrits, disposant d’une liberté totale et de la confiance que me faisaient les Oswald. En fait, ce n’était pas un travail, mais une joie, une communion, une osmose totale avec Howard. » – lire les articles de F. Truchaud sur nemedie.free.fr.

Jean-Pierre Dionnet est un auteur de la même génération que ces sommités. Nous vous l’avons présenté dans Avant d’aller au Howard Day (qui comporte son interview). Lui devait nous parler de REH en BD. Malheureusement, transformé en Hamtaro par un problème dentaire, il ne put nous retrouver. C’est, n’en doutons pas, à charge de revanche. Joseph Altairac, autre invité prestigieux, publie des chroniques pour des sites comme ActuSF, Noosfere et Le Bélial et apporte ses contributions à de nombreux groupes et forums. Ses Cahiers d’études lovecraftienne et la collection Interface qu’il concevait pour les éditions Encrage ont parfait sa réputation de passionné de l’imaginaire au même titre que son essai, A. E. Van Vogt, passeur cosmique, publié aux éditions de l’Œil du Sphinx en 2010. J’aurais aimé rencontré ce grand Savanturier. L’occasion n’était pas la bonne et c’est Christophe Thill qui le remplaça lors de la table ronde consacrée à la préhistoire howardienne. Cofondateurs des éditions Malpertuis, nous avons eu la chance de pouvoir l’interviewer lors de la Necronomi’con de Lyon l’an dernier ainsi que ce dimanche, pour un plus court entretien dédié à Robert E. Howard.

Envie d’adhérer au fanclub howardien ?
Le site français dédié à Robert Ervin Howard : robert-e-howard.fr.

Découvrez aussi Les Chroniques Némédiennes sur nemedie.free.fr.

Christophe Thill est, tout comme François Truchaud, un admirateur de H.P. Lovecraft, et également de Robert W. Chambers, l’auteur de Le roi en Jaune. Instrumentaliste des Deep Ones, il était présent pour faire le lien entre Robert E. Howard et Howard Phillips Lovecraft. Pour lui, Lovecraft a été un des premiers à mettre en avant le fait que la littérature fantastique est une littérature d’atmosphère. Il a bien l’intention d’en faire la promotion ! – en savoir plus sur l’Antre du poulpe. Après cette présentation, il est grand temps de passer aux interviews…

10_biereCi-dessus, nous dégustons la bière Howard de la micro-brasserie My Red.
Sur l’étiquette, une photo de Robert E. Howard en train de savourer un précieux nectar.
Le site internet de la micro-brasserie My Red.

L’antre du poulpe vous retrouve donc très bientôt pour la suite de ce reportage (à paraître dans quelques jours). Si vous êtes pressés de découvrir les conférences qui les accompagnent, alors rendez-vous sur le site ActuSF où elles seront mises en ligne en version audio et vidéo ! D’ici là, voici quelques photos.

Poulpy. À bientôt pour trois autres (et importants) chapitres…

A propos poulpinounet

Poulpy, c'est un poulpe à tout faire. Il se doit de disperser ses tentacules sur plein de supports... Ce poulpe est graphiste (donc masochiste), il parle de lui à la troisième personne (sérieux ?), est reporter (surtout), et critique. Minimoi s’essaie donc à au dessin, à la photo, et aussi : j’écris (un peu). Mes dessins font place à des montages, les montages à des textes, des histoires, des articles... Blogueur invétéré, Poulp(inounet) ne fait pas que promouvoir la culture, il crée également ses propres œuvres, pour lui comme pour d'autres.
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5 commentaires pour Howard Day, partie 1

  1. Pallantides dit :

    Cool, encore un bien bel article !

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